Rio de Janeiro, Favela de Vigario Geral
Raimundo avait grandi dans une de ces favelas qui rampent vers les collines de Rio de Janeiro comme des métastases. Ses parents, venus du Nordeste, avaient cru fuir la misère, mais elle avait seulement pris d’autres couleurs dans cette mégalopole. Ils avaient fini par se tuer au travail, au sens propre.
Les spectateurs hurlèrent leur joie quand son adversaire monta sur le ring, installé pour la nuit dans le bidonville de Vigario Geral. Raimundo avala sa salive devant ces cent vingt kilos de muscle et ce regard vide. L’homme avait un anaconda tatoué sur le corps. La bête semblait s’enrouler sur sa jambe et sur son torse, ouvrir sa gueule pour saisir la gorge.
Son frère aîné Fernando et lui s’étaient retrouvés dans la rue, poussés dehors par de plus forts qu’eux. Ils avaient volé, braqué pour survivre et pouvoir s’offrir la colle industrielle dont les vapeurs leur permettaient de s’évader pour quelques heures. Fernando avait rallié un gang de dealers, des gamins comme lui, inexpérimentés et naïfs. Les vrais caïds, contrariés par cette concurrence trop voyante, avaient envoyé leurs tueurs. Une balle dans la tête pour chacun des mômes en guise d’OPA.
Seul depuis, Raimundo, pour une poignée de Réals, participait à des tournois de Vale tudo, la lutte libre brésilienne. Il manquait de technique, mais son expérience de la rue lui avait appris à repérer en quelques secondes les points faibles de ses adversaires. Le nombre de ses victoires commença à le faire connaître. Des mecs l’invitèrent dans les beaux quartiers pour lui proposer un combat clandestin avec des paris. Il remporterait une somme de cent mille Réals s’il battait un champion, venu du Mato Grosso.
Raimundo se mit en mouvement, tentant de tenir son adversaire à distance par des directs rapides au visage. Le bloc de muscles encaissait sans broncher et continuait à avancer sans même chercher à éviter les coups.
— Quand est-ce que tu vas te mettre à frapper, fillette ?
Raimundo cognait de plus en fort de ses poings nus et sanglants. Les paroles de Fernando résonnaient en lui :
— Ne te laisse pas coincer, petit frère ! T’es rapide, mais du genre crevette. S’ils parviennent à t’attraper, ces types-là te casseront en deux.
Les cris des spectateurs fusaient. D’une pression des deux mains sur sa poitrine, l’Anaconda le poussa dans l’angle du ring ; Raimundo se baissa pour éviter un crochet et fit un de pas de côté pour s’extirper du piège. Son adversaire lui fit une béquille et il s’étala. Son crâne heurta le sol, juste devant les caméras. Il poussa sur les mains pour se relever, mais une douleur le foudroya. L’armoire à glace venait de lui tomber dessus de tout son poids, lui plantant les genoux dans les reins. À présent, il le frappait à la tête et Raimundo se protégeait comme il le pouvait. Il essaya de ramener ses jambes pour se retourner, mais elles ne répondaient plus. Autour de lui, les cris fusaient, mais il ne décelait aucun appel à la clémence. Raimundo ferma les yeux et cessa de se protéger en espérant que l’autre finisse par le tuer. On l’emmena sur une civière tandis que la montagne de muscles levait les bras devant la caméra, ovationné par le public.