Province de Navoï, Ouzbékistan
Or, uranium, granit, marbre, kaolin, gaz naturel… la richesse du sol, la misère des hommes. Pendant dix-sept-ans, Rouslan avait vu son père trimer dans les mines. Il l’avait entendu tousser le soir dans sa chambre. À mesure que son teint se grisait, le garçon voyait la lumière s’atténuer dans les yeux de sa mère. Mansur rentrait la chèvre dans l’enclos quand il s’écroula devant la barrière. On l’emmena à l’hôpital pour un aller simple. Les particules de kaolin avaient provoqué un cancer du poumon. Rouslan ne desserra pas les dents pendant la cérémonie.
Il partit pour Tachkent où il croisa Ferhat, un garçon de son village avec qui il avait pratiqué la lutte traditionnelle d’Asie centrale. Ferhat le présenta à son club. En voyant dans quel état Rouslan mettait le sac de frappe, les dirigeants s’intéressèrent à lui. On lui enseigna les techniques de combat des forces d’élite russes et il dut s’astreindre à un intense programme de musculation. Il était rapide, percutant, endurant ; pourtant, les premiers temps, son corps endolori l’empêchait de dormir jusqu’au petit matin. Ce qui le tenait, c’était son tapis de prière et ce petit tas de lettres de sa mère qu’il gardait à son chevet.
Les vidéos de combats singuliers livrées en masse par des camions militaires s’arrachaient sur les marchés de Tachkent. Un soir, un colonel assista à l’entraînement. Depuis le ring, Rouslan le vit discuter longuement avec son coach. Ensuite, l’homme vint lui parler en personne.
— Alors petit, comment tu trouves la capitale ? Tu es bien ici ?
— Oui, merci. Je…
— Attends. Quand on met son fric quelque part, on veut des garanties, tu ne crois pas ?
— Monsieur…
— Cela fait plus d’un an que nous prenons soin de toi, fils. Ta mère, là-bas, ne manque de rien n’est-ce pas ?
— …
— Tu perdras, quelquefois, et c’est normal. Mais je n’aimerais pas que tu meures ou que tu sois estropié, tu es mon poulain. Le moment venu, tu sentiras le danger. Tu pourras alors utiliser ce que je vais t’enseigner. Tiens ! Apprends ça par cœur pour commencer.
Il lui tendit une planche anatomique avec les points d’acupuncture marqués en rouge et quitta les lieux.
Rouslan, prit du muscle et de l’assurance. Son nom résonnait comme une menace à l’approche des combats, jusqu’au jour où il croisa la route d’un Kirghize. Le petit homme agile l’entraîna dans une danse qu’il ne menait plus. Rouslan ne parvenait même plus à parer les coups. Chancelant, il interrogea du regard son coach qui valida d’un hochement de tête. Il fit semblant d’être KO debout. Son adversaire s’approcha, le saisit par les cheveux et leva le bras, mais Rouslan le frappa soudain à un endroit précis et il s’immobilisa quelques secondes avant de s’effondrer, mort.