Old Crow, Yukon, Canada
John était le meilleur ami de Shyaahtsoo. À l’âge de dix ans, les deux enfants d’Old Crow savaient déjà tendre des pièges. Quand le blizzard interdisait à quiconque de mettre le nez dehors, chacun des deux garçons pouvait passer des journées entières dans la maison de son ami, comme il en aurait été pour deux frères.
John reçut son nom indien quelques années avant Ethan. Il venait d’avoir douze ans et son père l’emmenait à la chasse. Une brume dense pesait sur la rivière Porcupine qui charriait des monceaux de glace. Au fur et à mesure que les heures passaient, le froid se faisait plus intense. L’homme et l’enfant se reposaient sur la rive quand un jeune mâle grizzly qu’ils n’avaient pas repéré nagea jusqu’à eux, sortit de la rivière et s’approcha, menaçant. Les gouttes d’eau gelaient sur son pelage, formant une épaisse couverture de glace. Le père fit signe à John de reculer.
— Va-t’en, Chatt’an !
Le fauve se dressa sur ses pattes arrière en rugissant. Le chasseur épaula et tira, mais la balle sembla ricocher sur la carapace de glace. L’ours chargea. L’homme sortit son poignard de l’étui en criant :
— Cours, fils ! Ne t’arrête pas !
John s’enfuit aussi vite qu’il le pouvait, dans la terre boueuse, parsemée de plaques de neige. Trois fois, il se retourna et vit son père aux prises avec l’animal. Il ne retrouva pas la motoneige. Il s’arrêta un instant pour souffler, haletant. Quand il leva la tête, il vit le grizzly qui galopait sur ses traces, à environ trois cents mètres à découvert. Le garçon mit toutes ses forces dans la course, mais l’ours gagnait du terrain. Soudain, John repéra une faille et réussit à s’y glisser juste avant que le fauve ne le rattrape. Des griffes de la taille d’un poignard rayèrent la roche pendant des heures, essayant de l’atteindre. De temps en temps, l’animal tentait d’introduire sa tête, sans y parvenir. Une auréole de poils blancs donnait à son œil un air étrange, renforcé par la flamme qui brillait dans la pupille.
Quand l’ours se fatigua, il se coucha devant la fissure et se mit à lécher ses plaies. En silence, John s’emmura, empilant des fragments de roche dans la fente.
La nuit était tombée quand un bruit le fit tressaillir. Un brouhaha de grognements, de coups, de hurlements qui dura de longues minutes. Ensuite, un animal vint gratter l’amoncellement de pierres qui barrait l’entrée de son refuge. John entendit un halètement derrière son rempart de fortune, puis le silence retomba.
Au lever du jour, il lança quelques cailloux vers l’extérieur.
Rien.
Il attendit près d’une heure encore, puis il retira les pierres et se risqua au-dehors. À quelques mètres de sa cachette gisaient deux loups noirs. John observa les traces de l’ours et celles des loups. Toutes allaient en direction du Nord.
Le garçon marcha dans ses pas vers la rivière. La Police montée, les hommes du village étaient sur place. Le corps de son père était recouvert d’un drap. On l’empêcha d’approcher. John les mena à son abri où il raconta son aventure. On l’appela Eejiigghwaa : « Où est la meute ? ».