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Sous la lumière artificielle, les cadavres du jour verdissaient. Laure Caradec retira son masque et ses gants de latex, puis saisit son portable.

— Raphaël ?

— Salut, beauté.

— Attends. Je t’appelle pour le boulot. J’ai examiné les corps et je suis en train de taper mon rapport d’autopsie pour le proc’.

Raphaël se redressa sur sa chaise.

— Comme tu me l’as demandé, j’ai fait quelques recherches sur les armes romaines de l’antiquité, puis j’ai regardé si les blessures pouvaient correspondre.

— Et ?

— L’un des hommes pourrait parfaitement avoir été tué par un glaive Mayence, à lame pisciliforme, autrement dit en forme de poisson. J’ai aussi trouvé des traces de métal ans la plaie et je les ai fait analyser : fer et bronze. Comme pour les armes romaines antiques.

— Et pour les autres ?

— Eh bien, il est fort possible qu’on ait fait usage d’un trident de rétiaire et d’un pilum, un javelot avec une longue pointe très fine, qui était utilisé par les légionnaires des armées impériales.

— Et tu comptes mettre tout ça dans ton compte rendu ?

— On va me prendre pour une folle, je sais.

Un bip lui signalait un double appel.

— Merci, en tout cas. Toujours d’accord pour ce dîner ?

— Ah, oui !

— À ce soir.

— Je t’aime.

Il décrocha.

— Allo ?

— Larcher, c’est Morand. Un truc m’est revenu en parcourant ton rapport.

— Je t’écoute.

— Le témoin, au milieu de ses délires d’extraterrestres, d’Illuminatis et d’Égyptiens, il a aussi parlé de gladiateurs romains. J’ai juste pris ça pour un élément de sa bouillie mentale, mais en lisant ton adage latin, ça m’a interpellé.

— Merci Mo. Ton clodo, on peut le retrouver ?

— Oui. Il est toujours sous la voie Mathis le matin, à essayer de taxer les automobilistes au feu rouge.

— Tu peux me donner son nom ?

— Il se fait appeler Blondin, comme Eastwood dans Le Bon, la Brute et le Truand. Faut dire qu’il lui ressemble un peu.

Morand lança :

— Dis-moi Larcher, tu la trouves comment la patronne ?

— Elle m’a l’air d’avoir les pieds sur terre.

Raphaël l’entendit classer des papiers.

— Tu sais que j’avais demandé une disponibilité ? Refusée. J’ai bien envie de leur filer ma dem.

— Déconne pas Morand. On a besoin de toi.

Raphaël savait que Ronzier avait appuyé la demande de Morand, mais l’administration n’en avait pas tenu compte. La femme du lieutenant avait mis les voiles. Elle était partie vivre en Italie avec son amant, emmenant les gosses avec elle. Il ne les voyait plus que pendant les vacances scolaires.

— Ils savent bien que tu les aimes, tes minots.

Le silence au bout de la ligne fut un peu long.

— Heureusement que je vous ai, Lucchi et toi.

*

Assis près d’un pilier en béton, Ugo et Raphaël trouvèrent le clochard à l’endroit indiqué par Morand. Un vieux sac à dos était posé à ses pieds. Il tenait un chien jaune en laisse et regardait ses chaussures en marmonnant. Ses cheveux blonds étaient longs et gras, la barbe était assortie. Raphaël trouvait qu’il avait bien un faux air de Clint : Pale Rider, version crade. Il portait un pantalon de treillis militaire, des Rangers, un anorak délavé, marron et noir.

Raphaël s’avança, Lucchi resta deux pas en arrière.

— Blondin ? Capitaine Larcher, bonjour.

Le gars leva la tête. Son regard clair avait à la fois quelque chose d’absent et de perçant. Comme deux flaques argentées qui contrastaient avec sa peau tannée par le soleil. Il se gratta le bras.

— T’as du pinard, mec ?

— Pas avec moi.

Raphaël montra sa carte de police.

— Il paraît que vous avez assisté au braquage…

— Ouais. T’es sûr que t’as pas de jaja ?

— Sûr. Alors ?

Lucchi s’avança, sortit une cigarette d’un paquet et la tendit à l’homme qui la mit aussitôt à ses lèvres. Le Corse alluma la clope, le gars tira une bouffée.

— J’étais là, peinard, à l’abri sous le pont et trois mecs dans un 4x4 ont pilé devant le fourgon. Le quatrième était dans la grue, là-bas. Il a fracassé la camionnette avec la boule. Après, il a rejoint les autres.

Il se pencha pour raccourcir la laisse de son chien.

— Il y en a un qui est entré dans le fourgon. Il a fumé les convoyeurs, direct, l’enculé. Après il a lancé les sacs sur la route et a foutu le feu au camion.

Il se tut et regarda autour de lui. Après quelques instants d’absence, il renifla bruyamment et cracha sur le côté.

— T’as vraiment rien à boire ?

FIN DE L’EXTRAIT

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