Kiruna, Laponie suédoise
Atteindre une ancienne galerie de la mine de fer. Reprendre son souffle. Les raquettes de Sven s’enfonçaient dans la neige épaisse, instable. L’air glacé s’engouffrait dans sa poitrine. Moins trente degrés et la sensation de respirer du feu. Sans ralentir, il plongea la main dans son sac et toucha les liasses de billets pour se donner du courage. Un bourdonnement se fit entendre et il regarda l’arme qu’on lui avait laissée : une hache de guerre viking.
Derrière lui, des branchages reliés à sa taille par une corde effaçaient les traces de son passage. À travers les bourrasques de neige, il aperçut le trou noir de la galerie. Il accéléra. Les rafales portaient plus clairement le bruit des moteurs.
Adna avait emmené Efe quand elle l’avait quitté. Les juges avaient validé. The winner takes it all. Mais avec les deux cent mille couronnes contenues dans ce sac, il pourrait recommencer sa vie, acheter une pizzeria, récupérer son fils. Peut-être même qu’ils partiraient tous les deux s’installer en Espagne…
Insensibilisé par l’effort et le froid, il sentit à peine une flèche le toucher au bras à travers son anorak. Il se retourna et vit trois motoneiges fondre sur lui. Elles se séparèrent et se mirent à tourner autour de leur proie. Les chasseurs portaient des tenues de guerriers vikings, des casques à protection nasale. Les diodes rouges des caméras fixées sur les guidons des machines ne le lâchaient pas. Le cercle infernal se resserrait.
Assis derrière leurs conducteurs, les trois archers armaient leurs flèches. Le premier n’eut pas le temps de tirer. La hache de Sven vola et le toucha à la poitrine. L’homme lâcha son arc sans un cri et se cramponna au pilote, lui faisant perdre le contrôle de son engin. L’équipage s’abîma dans le précipice. Sven avait repris sa course vers l’entrée de la galerie. Le rugissement des moteurs s’intensifiait.
Une seconde flèche, tirée presque à bout portant, se ficha sous l’omoplate et lui perfora un poumon. Du sang afflua dans sa gorge et il s’arrêta. Les motoneiges vinrent se positionner face à lui. Il inspira par le nez, mais ses narines se pincèrent. À l’expiration, il suffoqua. Les chasseurs mirent pied à terre. L’un d’eux se redressa, il dépassait ses compagnons d’une tête. Il passa la main par-dessus son épaule et tira de son fourreau de peau une grande épée. Sven tomba à genoux, la vue brouillée, un goût de métal dans la bouche. Le son d’un zoom de caméra en action lui parvint. Une épée viking atterrit dans la poudreuse, juste devant lui.
— Tu t’es bien battu. Tu mérites de rejoindre le Valhalla.
À bout de souffle, Sven sentait le froid l’envahir. Il serra ses doigts sur le pommeau ouvragé et ferma les yeux, murmurant un dernier mot :
— Efe !
La grande lame s’abattit et la tête roula dans la neige. Le chasseur la saisit par les cheveux, la brandit devant les caméras et la tendit vers le ciel.
— Odin, reçois cet homme en ta demeure ! Et offre-lui à boire, il est mort l’épée à la main !
Le géant ramassa le sac contenant l’argent. Le sang qui jaillissait du corps de Sven commençait déjà à geler. À quelques pas de lui s’ouvrait l’ancien tunnel de la mine de fer de Kiruna, enjeu stratégique pendant la Seconde Guerre mondiale. On en avait fait des tanks, des canons, des navires. Un acier si résistant qu’il aurait pu servir à forger le marteau de Thor.