J
e vous remectz à la grande chronicque Pantagrueline recongnoistre la genealogie et antiquité dont nous est venu Gargantua. En icelle vous entendrez plus au long comment les geands nasquirent en ce monde, et comment d’iceulx, par lignes directes, yssit Gargantua, pere de Pantagruel, et ne vous faschera si pour le present je m’en deporte, combien que la chose soit telle que, tant plus seroit remembrée, tant plus elle plairoit à vos Seigneuries ; comme vous avez l’autorité de Platon, in Philebo et Gorgias, et de Flacce, qui dict estre aulcuns propos, telz que ceulx cy sans doubte, qui plus sont delectables quand plus souvent sont redictz.
Pleust à Dieu qu’un chascun sceust aussi certainement sa geneallogie, depuis l’arche de Noë jusques à cest eage ! Je pense que plusieurs sont aujourd’huy empereurs, roys, ducz, princes et papes en la terre, lesquels sont descenduz de quelques porteurs de rogatons et de coustretz, comme, au rebours, plusieurs sont gueux de l’hostiaire, souffreteux et miserables, lesquelz sont descenduz de sang et ligne de grandz roys et empereurs, attendu l’admirable transport des regnes et empires :
des Assyriens es Medes,
des Medes es Perses,
des Perses es Macedones,
des Macedones es Romains,
des Romains es Grecz,
des Grecz es Françoys.
Et, pour vous donner à entendre de moy qui parle, je cuyde que soye descendu de quelque riche roy ou prince au temps jadis ; car oncques ne veistes homme qui eust plus grande affection d’estre roy et riche que moy, affin de faire grand chere, pas ne travailler, poinct ne me soucier, et bien enrichir mes amys et tous gens de bien et de sçavoir. Mais en ce je me reconforte que en l’aultre monde je le seray, voyre plus grand que de present ne l’auseroye soubhaitter. Vous en telle ou meilleure pensée reconfortez vostre malheur, et beuvez fraiz, si faire se peut.
Retournant à noz moutons, je vous dictz que par don souverain des cieulx nous a esté reservée l’antiquité et geneallogie de Gargantua plus entiere que nulle aultre, exceptez celle du Messias, dont je ne parle, car il ne me appartient, aussi les diables (ce sont les calumniateurs et caffars) se y opposent. Et fut trouvée par Jean Audeau en un pré qu’il avoit près l’arceau Gualeau, au dessoubz de l’Olive, tirant à Narsay, duquel faisant lever les fossez, toucherent les piocheurs de leurs marres un grand tombeau de bronze, long sans mesure, car oncques n’en trouverent le bout par ce qu’il entroit trop avant les excluses de Vienne. Icelluy ouvrans en certain lieu, signé, au dessus, d’un goubelet à l’entour duquel estoit escript en lettres Ethrusques : HIC BIBITUR, trouverent neuf flaccons en tel ordre qu’on assiet les quilles en Guascoigne, desquelz celluy qui au mylieu estoit couvroit un gros, gras, grand, gris, joly, petit, moisy livret, plus, mais non mieulx sentent que roses.
En icelluy fut ladicte geneallogie trouvée, escripte au long de lettres cancelleresques, non en papier, non en parchemin, non en cere, mais en escorce d’ulmeau, tant toutesfoys usées par vetusté qu’à poine en povoit on troys recognoistre de ranc.
Je (combien que indigne) y fuz appelé, et, à grand renfort de bezicles, practicant l’art dont on peut lire lettres non apparentes, comme enseigne Aristoteles, la translatay, ainsi que veoir pourrez en Pantagruelisant, c’est-à-dire beuvans à gré et lisans les gestes horrificques de Pantagruel
A la fin du livre estoit un petit traicté intitulé : Les Fanfreluches antidotées. Les ratz et blattes, ou (affin que je ne mente) aultres malignes bestes, avoient brousté le commencement ; le reste j’ay cy dessoubz adjouté, par reverence de l’antiquaille.