Acte premier

Scène première

GRANGER, CHASTEAUFORT

GRANGER.

Oh ! par les Dieux jumeaux ! tous les Monstres ne sont pas en Afrique. Et de grâce, Satrape du Palais Stigial, donne-moi la définition de ton individu. Ne serais-tu point un être de raison, une chimère, un accident sans substance, un élixir de la matière première, un spectre de drap noir ? Ah ! tu n'es sans doute que cela, ou tout au plus un grimaud d'Enfer qui fait l'école buissonnière.

CHASTEAUFORT.

Puisque je te vois curieux de connaître les grandes choses, je veux t'apprendre les miracles de mon berceau. Sache que la Nature voyant germer au monde un essaim de petits Dieux affamés, et craignant que cette vermine venant à pulluler n’infectât à la fin la Terre après le Ciel, voulut opposer un Hercule à ces Monstres. Cela lui donna bien jusqu’à la hardiesse de s'imaginer qu'elle me pouvait produire. Pour cet effet elle empoigna les âmes de Samson, d'Hector, d'Achille, d'Ajax, de Cyrus, d'Épaminondas, d'Alexandre, de Romulus, de Scipion, d'Annibal, de Sylla, de Pompée, de Pyrrhus, de Caton, de César, et d'Antoine ; puis les ayant pulvérisées, calcinées, rectifiées, elle réduisit toute cette confection en un spirituel sublimé qui n'attendait plus qu'un fourreau pour s'y fourrer. Nature, glorieuse de son réussit, ne pût goûter modérément sa joie, elle clabauda son chef d'œuvre partout ; l'Art en devint jaloux, et fâché, disait-il, qu'une teigneuse emportât toute seule la gloire de m'avoir engendré, la traita d'ingrate, de superbe, lui déchira sa coiffe ; Nature, de son côté, prit son ennemi aux cheveux ; enfin l'un et l'autre battit, et fut battu. Le tintamarre des démentis, des soufflets, des bastonnades, m'éveilla ; je les vis, et jugeant que leurs démêlés ne portaient pas la mine de prendre sitôt fin, pour les mettre d'accord, je me crée moi-même. Depuis ce temps-là leur querelle dure encore ; partout vous voyez ces irréconciliables ennemis se prêter le collet, et les descriptions de nos Écrivains d'aujourd'hui ne sont lardées d'autre chose que des faits d'armes de ces deux gladiateurs, parce que, prenant à bon augure d'être né dans la guerre, je leur commandai, en mémoire de ma naissance, de se battre sans se reposer jusqu’à la fin du Monde. Nature pour gagner mes bonnes grâces me présenta cette bisque de héros, je n'en fis par Dieu que deux gorgées ; donc, afin de ne pas demeurer ingrat, je la voulus dépêtrer de ces Dieutelets, dont l'insolence la mettait en cervelle. Je les mandai, ils obéirent ; enfin je prononçai cet immuable Arrêt : « Gaillarde troupe, quand je vous ai convoqués, la plus miséricordieuse intention que j'eusse pour vous était de vous annihiler ; mais craignant que votre impuissance ne reprochât à mes mains l'indignité de cette victoire, voici ce que j'ordonne de votre sort : Vous autres Dieux qui savez si bien courir comme Saturne, père du temps, qui mangeant et dévorant tout, court à l'hôpital ; Jupiter qui, comme ayant la tête fêlée depuis le coup de hache qu'il reçut de Vulcain, doit courir les rues ; Mars qui comme soldat court aux armes ; Phoebus qui comme Dieu des Vers court la bouche des Poètes ; Vénus qui comme putain court l'aiguillette ; Mercure qui comme Messager court la Poste ; et Diane qui comme Chasseresse court les bêtes ; vous prendrez la peine, s'il vous plaît, de monter tous les sept à califourchon sur une Étoile. Là vous courrez de si bonne sorte, que vous n'aurez pas le loisir d'ouvrir les yeux. »

PAQUIER.

En effet, les Planètes sont justement ces sept-là.

GRANGER.

Et des autres Dieux qu'en fîtes-vous ?

CHASTEAUFORT.

Midi sonna, la faim me prit, j'en fis un saupiquet pour mon dîner.

PAQUIER.

« Domine », ce fut assurément en ce temps-là, et je m'en souviens bien, que les Oracles cessèrent.

CHASTEAUFORT.

Il est vrai ; et dès lors ma complexion prenant part à ce salmigondis de Rois et de Dieux, mes actions ont été toutes héroïques ou divines, car si je regarde, c'est en Basilic ; si j'engendre, c'est en Deucalion ; si je pleure, c'est en Héraclite ; si je ris, c'est en Démocrite ; si je vomis, c'est en Mont-Etna ; si j'écume, c'est en Cerbère ; si je dors, c'est en Morphée ; si je veille, c'est en Argus ; si je marche, c'est en Juif-Errant ; si je cours, c'est en Pacolet[Note_1] ; si je vole, c'est en financier ; si je m'arrête, c'est en Dieu Terme ; si je mange, c est en gangrène ; si je bois, c'est en éponge ; si j'ordonne, c'est en Destin ; si je baise, c'est en Judas. Enfin vous voyez celui qui fait que l'Histoire du Phœnix n'est pas un conte.

GRANGER.

Il est vrai qu'à l'âge où vous êtes, n'avoir point de barbe, vous me portez la mine, aussi bien que le Phœnix, d'être incapable d'engendrer. Vous n'êtes ni masculin, ni féminin, mais neutre : Vous avez fait de votre Dactyle un Trochée, c'est-à-dire que, par la soustraction d'une brève, vous vous êtes rendu impotent à la propagation des individus. Vous êtes de ceux dont le sexe femelle,

Ne peut ouir le nominatif
À cause de leur génitif,
Et souffre mieux le vocatif
De ceux qui n'ont point de datif,
Que de ceux dont l'accusatif
Apprend qu'ils ont un ablatif.
J'entends que le diminutif
Qu'on fit de vrai trop excessif
Sur votre flasque génitif,
Vous prohibe le conjonctif.
Donc, puisque vous êtes passif,
Et ne pouvez plus être actif,
Témoin le poil indicatif
Qui m'en est fort persuasif,
Je vous fais un impératif
De n'avoir jamais d'optatif
Pour aucun genre subjonctif.
De « nunc » jusqu'à l'infinitif,
Ou je fais sur vous l'adjectif
Du plus effrayant positif
Qui jamais eut comparatif :
Et si ce rude partitif,
Dont je serai distributif
Et vous le sujet collectif.
N'est le plus beau superlatif,
Et le coup le plus sensitif
Dont homme soit mémoratif,
Je jure par mon jour natif
Que je veux pour ce seul motif
Qu'un sale et sanglant vomitif,
Surmontant tout confortatif,
Tout lénitif, tout restrictif,
Et tout bon corroboratif.
Soit le châtiment primitif
Et l'effroyable exprimitif
D'un discours qui serait fautif,
Car je n'ai le bras si chétif,
Ni vous le talon si fuitif,
Que vous ne fussiez portatif
D'un coup bien significatif.

Ô visage ! ô portrait naïf !
Ô souverain expéditif
Pour guérir tout sexe lascif
D'amour naissant ou effectif :
Genre neutre, genre métif,
Qui n'êtes homme qu'abstractif,
Grâce à votre copulatif
Qu'a rendu fort imperfectif
Le cruel tranchant d'un canif ;
Si pour soudre[Note_2] ce Logogrif
Vous avez l'esprit trop tardif,
À ces mots soyez attentif :

Je fais voeu de me faire Juif
Au lieu d'eau de boire du suif,
D'être mieux damné que Caïf[Note_3],
D'aller à pied voir le Chérit,
De me rendre à Tunis captif,
D'être berné comme escogrif,
D'être plus maudit qu'un Tarif[Note_4],
De devenir ladre et poussif,
Bref par les mains d'un sort hâtif
Couronné de Ciprès et d'If,
Passer dans le mortel Esquif
Au pays où l'on est oisif :
Si jamais je deviens rétif
À l'agréable exécutif
Du voeu dont je suis l'inventif,
Et duquel le préparatif
Est, beau Sire, un bâton massif
Qui sera le dissolutif
De votre demi-substantif :
Car c'est mon vouloir décisif
Et mon testament, mort, ou vif.

Mais vous parler ainsi, c'est vous donner à résoudre les emblèmes d'un Sphinx ; c'est perdre son huile et son temps ; c'est écrire sur la Mer, bâtir sur l'Arène[Note_5] et fonder sur le Vent. Enfin je reconnais que si vous avez quelque teinture des Lettres, ce n'est pas de celle des Gobelins[Note_6], car par Jupiter Ammon, vous êtes fou.

CHASTEAUFORT.

Des Lettres ! ah ! que me dites-vous ? Des âmes de terre et de boue pourraient s'amuser à ces vétilles ; mais pour moi je n'écris que sur les corps humains.

GRANGER.

Je le vois bien. C'est peut-être ce qui vous donne envie d'appuyer votre plume charnelle sur le parchemin vierge de ma fille. Elle n'en serait pas contristée, la pauvrette ; car une femme aujourd'hui aime mieux les bêtes que les hommes, suivant la règle « as petit haec ». Vous aspirez aussi bien qu'Hercule à ses Colonnes ivoirines[Note_7] ; mais l'orifice, l'orée, et l'ourlet de ses guêtres, est pour vous un « Ne plus ultra[Note_8] ». Premièrement, parce que vous êtes Veuf d'une pucelle qui vous fit faire plus de chemin en deux jours que le Soleil n'en fait en huit mois dans le Zodiaque ; vous courûtes du Gemini au Chancre en huit jours, ce que l'autre ne saurait faire, et lorsque vous pensiez n'être encore arrivé qu'à la Vierge ; vous entrâtes au Verseau sans avoir vu d'autre signe en passant que celui du Capricorne. La seconde objection que je fais à vos arguments est que vous êtes Normand ; Normandie « quasi » venue du Nord pour mendier. De votre nation les serviteurs sont traîtres, les égaux insolents, et les maîtres insupportables. Jadis le blason de cette Province était trois Faux, pour montrer les trois espèces de faux qu'engendre ce climat ; «scilicet[Note_9] » Faux-sauniers, Faux-témoins et Faux-monnayeurs ; je ne veux point de Faussaires en ma maison. La troisième, qui m'est une raison invincible, c'est que votre bourse est malade d'un flux de ventre, dont la mienne appréhende la contagion. Je sais que votre valeur est recommandable, et que votre mine seule ferait trembler le plus ferme manteau d'aujourd'hui. Mais, en cet âge de Fer, on juge de nous parce que nous avons, et non pas parce que nous sommes. La pauvreté fait le crime, et si vous me demandez « Cur tibi despicior[Note_10] ?» je vous réponds « Nunc omnibus itur ad aurum[Note_11] ». D'un certain riche laboureur la charrue m'éblouit, et je suis tout à fait résolu que puisque « hic dat or[Note_12] ; I longum ponat» dans son «O commune[Note_13] ». C'est pourquoi je vous conseille de ne plus approcher ma fille en Roi d'Egypte, c'est-à-dire qu'on ne vous voie point auprès d'elle dresser la Pyramide à son intention. Quoique j'aime les règles de la Grammaire, je ne prendrais pas plaisir de vous voir accorder ensemble le Masculin avec le Féminin ; et je craindrais que « Si duo continue jungantur fixa nec una, sit res[Note_14] », un malveillant n'inférât « Optant sibi jungere casus ».

CHASTEAUFORT.

Il est vrai, Dieu me damne, que votre fille est folle de mon amour. Mais quoi, c'est mon faible de n'avoir jamais pu regarder de femme sans la blesser. La petite gueuse toutefois a si bien su friponner mon cœur ; ses yeux ont si bien su paillarder ma pensée, que je lui pardonne quasi la hardiesse qu'elle a prise de me donner de l'amour. « Généreux Gentilhomme, me dit-elle l'autre jour, la pauvrette ne savait pas mes qualités, l'Univers a besoin de deux conquérants ; la race en est éteinte en vous, si vous ne me regardez d'un œil de miséricorde. Comme vous êtes un Alexandre, je suis une Amazone ; faisons sortir de nous deux un Plus-que-Mars, de qui la naissance soit fatale au genre humain et dont les armes, après avoir dispensé la mort aux deux bouts de la Terre, fassent un si puissant Empire que jamais le Soleil ne se couche pour tous ses peuples. » J'avais de la peine à me rendre entre les bras de cette passion, mais enfin je vainquis en me vainquant tout ce qu'il y a de grand au monde, c'est-à-dire que je l'aimai. Je ne veux pas pourtant que tant de gloire vous rende orgueilleux, que vous deveniez insolent sur les petits ; mais humiliez-vous en votre néant que j'ai voulu choisir pour faire hautement éclater ma puissance. Vous craignez, je le vois bien, que je ne méprise votre pauvreté ; mais quand il plaira à cette épée, elle fera de l'Amérique et de la Chine une basse-cour de votre maison.

GRANGER.

O ! Microcosme de visions fantastiques ! « Vade retro ! » autrement, après avoir apostrophé du bras gauche, « Addetur huic dexter, cui syncopa fiet ut ulter[Note_15] ; » et pour toute emplâtre de ces balafres, vous serez médicamenté d'un « Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas[Note_16] ». Loin donc d'ici, Prophane, si vous ne voulez que je mette en usage pour vous punir toutes les règles de l'Arithmétique. Ma colère « primo » commencera par la Démonstration, puis marchera ensuite une Position de soufflets ; « Item » une Addition de bastonnades ; « Hinc[Note_17] », une Fraction de bras ; « Illinc[Note_18] », une Soustraction de jambes. De là je ferai grêler une Multiplication de coups, tapes, taloches, horions, fendants, estocs, revers, estramaçons et casse-museaux si épouvantables, qu'après ce charcutis grand nez, grand Cam (Khan), grand Turc, grand Muphti, grand Vizir et grand Tephterdat des plus redoutés charcutis, l'œil d'un Lynx ne pourra pas faire la moindre Division, ni Subdivision, de la plus grosse parcelle de votre misérable individu.

CHASTEAUFORT.

Et moi, chétif Excommunié, j'aurais déjà fait sortir ton âme par cent plaies, sans la dignité de mon Être, qui me défend d'ôter la vie à quelque chose de moindre qu'un Géant ; et même je te pardonne, parce qu'infailliblement l'ignorance de ce que je suis t'a jeté dans ces extravagances.

(Il se parle à lui-même)

« Cependant me voici fort en peine, car pouvait-il me méconnaître, puisque, pour savoir mon nom, il ne faut qu'être de ce monde ? » Sachez donc, Messire Jean, que je suis celui qu'on ne peut exterminer sans faire une Épitaphe à la Nature, et le Père des Vaillants puisqu'à tous, je leur ai donné la vie.

GRANGER.

Pardonnez, grand Prince, à mon peu de foi. Ce n'est pas... ta fierté que je révoquais en doute, mais j'avais de la peine à croire qu'un Dieu put se loger avec un homme.

CHASTEAUFORT.

Relevez-vous, Monsieur le Curé, je suis content. Choisissez vite où vous voulez régner, et cette main vous bâtit un Trône dont l'Escalier sera fait des cadavres de six cents Rois.

GRANGER.

Mon Empire sera plus grand que le monde si je règne sur votre cœur. Protégez-moi seulement contre je ne sais quel Gentillâtre qui a bien l'insolence de marcher sur vos brisées, et...

CHASTEAUFORT.

Ne vous expliquez pas, j'aurais peur que mes yeux en courroux ne jetassent des étincelles, dont quelqu'une par mégarde vous pourrait consumer. Un Mortel aura donc eu la témérité de se chauffer à même feu que moi, et je ne punirai pas les quatre Eléments qui l'ont souffert ! Mais je ne puis parler, la rage me transporte : Je m'en vais faire pendre l'Eau, le Feu, la Terre et l'Air, et songer au genre de mort dont nous exterminerons ce Pygmée qui veut faire le Colosse.

Scène II

GRANGER, PAQUIER.

GRANGER.

Eh bien, Pierre, ne voilà pas une digue que je viens d'opposer aux terreurs que me donne tous les jours Monsieur de La Tremblaye ? Car La Tremblaye à cause de Chasteaufort, Chasteaufort à cause de La Tremblaye, désisteront de la poursuite de ma fille ; ce sont deux poltrons si éprouvés, que si jamais ils se battent, ils se demanderont tous deux la vie. Me voici cependant embarqué sur une mer où la moitié du monde a fait naufrage. C'est l'amour chez moi, l'amour dehors, l'amour partout. Je n'ai qu'une fille à marier, et j'ai trois gendres prétendus : l'un se dit brave, je sais le contraire ; l'autre riche, mais je ne sais ; l'autre Gentilhomme, mais il mange beaucoup. Ô ! Nature, vous croiriez-vous être mise en frais, si vous aviez fagoté tant seulement trois belles qualités en un individu. Ha ! Pierre Paquier, le monde s'en va renverser.

PAQUIER.

Tant mieux, car autrefois j'entendais dire la même chose, que tout était renversé. Or si l'on renverse aujourd'hui ce qui était renversé, c'est le remettre en son sens.

GRANGER.

Mais ce n'est pas encore là ma plus grande plaie ; j'aime, et mon fils est mon rival ! Depuis le jour que cette furieuse pensée a pris gîte au ventricule de mon cerveau, je ne mange pour toute viande qu'un « poenitet, taedet, miseret[Note_19] ». Ah, c'en est fait, je me vais pendre !

PAQUIER.

Là, là, espérez en Dieu, il vous assistera. Il assiste bien les Allemands qui ne sont pas de ce pays-ci...

GRANGER.

Si je l'envoyais à Venise ? « Haud dubiè[Note_20] », c'est le meilleur ! C'est le meilleur ! Oh ! oui sans doute. Bien donc ! dès demain je le mettrai sur mer.

PAQUIER.

Au moins ne le laissez pas embarquer sans attacher sur lui de l'Anis à la Reine, car les Médecins en ordonnent contre les vents.

GRANGER.

Va-t-en dire à Charlot Granger qu'il avole[Note_21] subitement ici. S'il veut savoir qui le demande, dis-lui que c'est moi.

Scène III

GRANGER.

Seul.

Donc sejongant[Note_22] de nos Lares ce vorace absorbeur de biens, chaque sol de rente que je voulais avoir deviendra parisis ! et le marteau de la jalousie ne sonnera plus les longues heures du désespoir dans le clocher de mon âme. D'un autre côté me puis-je résoudre au mariage, moi que les Livres ont instruit des accidents qu'il tire à sa cordelle ? Que je me marie ou que je ne me marie pas, je suis assuré de me repentir. N'importe ! ma femme prétendue n'est pas grande ; ayant à vêtir une haire, je ne la puis prendre trop courte. On dit cependant qu'elle veut plastronner sa virginité contre les estocades de mes perfections. Eh ! à d'autres, un pucelage est plus difficile à porter qu'une cuirasse. Toutes les femmes ne sont-elles pas semblables aux arbres, pourquoi donc ne voudraient-elles pas être arrosées ? « ac primo » ; comme les arbres, elles ont plusieurs têtes ; comme les arbres, si elles sont ou trop ou trop peu humectées, elles ne portent point ; comme les arbres, elles ont les fleurs auparavant que les fruits ; comme les arbres, elles déchargent quand on les secoue. Enfin, Jean Despautère[Note_23] le confirme, quand il dit « Arboris est nomen muliebre[Note_24] ». Mais je crois que Paquier a bu de l'eau du fleuve « Léthé », ou que mon fils s'approche à pas d'Écrevisse ; je m'en vais « obviam[Note_25] » droit à lui.

Scène IV

CHARLOT, PAQUIER.

CHARLOT.

Je ne puis rien comprendre à ton galimatias.

PAQUIER.

Pour moi, je ne trouve rien de si clair.

CHARLOT.

Mais enfin, ne me saurais-tu dire qui c'est qui me demande ?

PAQUIER.

Je vous dis que c'est moi.

CHARLOT.

Comment toi ?

PAQUIER.

Je ne vous dis pas moi : mais je vous dis que c'est, Moi ; car il m'a dit en partant, dis-lui que c'est, Moi.

CHARLOT.

Ne seroit-ce point mon Père que tu veux dire ?

PAQUIER.

Hé ! vraiment oui. À propos, je pense qu'il a envie de vous envoyer sur la Mer.

CHARLOT.

Hé ! quoi faire, Paquier ?

PAQUIER.

Il ne me l'a point dit ; mais je crois que c'est pour voir la campagne.

CHARLOT.

J'ai trop voyagé, j'en suis las.

PAQUIER.

Qui, vous ? Je vais gager ce chapeau de Cocu, qui est un des vieux de votre Père, que vous n'avez jamais vu la Mer que dans une Huître à l'écaille.

CHARLOT.

Et toi, Paquier, en as-tu vu davantage ?

PAQUIER.

Oui-da ; j'ai vu les Bons-Hommes[Note_26]. Chaillot, Saint-Cloud, Vaugirard.

CHARLOT.

Et qu'y as-tu remarqué de beau, Paquier ?

PAQUIER.

À la vérité, je ne les vis pas trop bien, parce que les murailles m'empêchaient.

CHARLOT.

Je pense, ma foi, que tes voyages n'ont pas été plus longs que sera celui dont tu me parles. Vas, tu peux l'assurer que je ne désire pas...

Scène V

GRANGER, CHARLOT, PAQUIER.

GRANGER.

Que tu demeures plus longtemps ici ? Vite, Charlot, il faut partir. Songe à l'Adieu dont tu prendras congé des Dieux-Foyers, protecteurs du toit paternel ; car demain l'Aurore porte-safran ne se sera pas plutôt jetée des bras de Tithon dans ceux de Céphale qu'il te faudra fier à la discrétion de Neptune Guide-nefs. C'est à Venise où je t'envoie. « Tuus enim patruus[Note_27] » m'a mandé, qu'étant orbe[Note_28] d'hoirs[Note_29] mâles, il avait besoin d'un personnage sur la fidélité duquel il put se reposer du maniement de ses facultés. Puisque donc tu n'as jamais voulu t'abreuver aux Marais, Fils de l'ongle du Cheval emplumé[Note_30], et que la Lyrique harmonie du savant meurtrier de Python[Note_31] n'a jamais enflé ta parole, essaye si, dans la marchandise, Mercure aux pieds ailés te prêtera son Caducée. Ainsi le turbulent Éole te soit aussi affable qu'aux pacifiques Nids des Alcyons ! ' Enfin, Charlot, il faut partir.

CHARLOT.

Pour où aller, mon Père ?

GRANGER.

À Venise, mon fils.

CHARLOT.

Je vois bien, Monsieur, que vous voulez éprouver si je serais assez lâche pour vous abandonner, et par mon absence vous arracher d'entre les bras un fils unique. Mais non, mon Père, si vos tendresses sont assez grandes pour sacrifier votre joie à mon avancement, mon affection est si forte, qu'elle m'empêchera de vous obéir. Aussi quoique vous puissiez alléguer, je demeurerai sans cesse auprès de vous et serai votre bâton de vieillesse.

GRANGER.

Ce n'est pas pour prendre votre avis, mais pour vous apprendre ma volonté que je vous ai fait venir. Donc, demain je vous emmaillote dans un Vaisseau pendant que l'air est serein ; car s'il venait à nébuliser, nous sommes menacés, par les Centuries de Nostradamus, d'un temps fort incommode à la Navigation.

FIN DE L’EXTRAIT

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