Biographie de l’Auteur

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Edgar Allan Poe, (1809-1849) né à Boston, mort à Baltimore, est un écrivain, essayiste, poète et critique littéraire américain. Il est surtout connu pour ses contes, traduits en France par Charles Baudelaire. Certains le considèrent comme l’un des plus grands auteurs américains, d’autres comme l’un des pères du romantisme américain. D’autres disent que Poe traduit en français, c’est justement du Charles Baudelaire. Beaucoup plus controversé aux Etats-Unis qu’en France, tous s’accordent à reconnaître l’extraordinaire influence qu’il exerça sur le roman policier, le fantastique, la science-fiction et l’art du récit court en général.

Biographie

Edgar Allan Poe est né à Boston le 19 Janvier 1809. Sa mère est la fille de deux comédiens anglais, son père vient d’une famille de commerçants irlandais. Son père et sa mère sont acteurs ambulants, et c’est au cours d’une tournée à New York, que son père, alcoolique, tuberculeux, meurt, alors qu’Edgar est âgé de quelques mois. En 1811, à Richmond, tandis qu’elle fait une tournée dans le sud, sa mère meurt à son tour. Edgar reste constamment auprès de sa mère durant son agonie, qui durera quatre mois. On dit que cette relation fusionnelle avec sa mère et la disparition dont il fut le premier témoin influenceront grandement sa vie et son art. Peut être est-ce cette douleur, ce traumatisme d’enfant, qui feront de lui cet être déchiré, frustré, ambitieux, malheureux, et cet écrivain à l’imagination fertile mais au style sur travaillé, contrôlé à l’excès ? Orphelin, Edgar est recueilli par une famille de négociants de tabac de Richmond, les Allan. Né dans le Nord, il passe sa jeunesse dans le Sud, où il est élevé comme un patricien.

Entre 1815 et 1820, il suit sa famille adoptive en Grande-Bretagne où il fait des études classiques plutôt brillantes. Très tôt, Edgar montre une certaine difficulté à la vie sociale ; d’un caractère dur, il est à la fois rêveur et solitaire, irritable et colérique. Ses relations avec sa famille adoptive deviennent tendues. Entre son père et sa mère adoptive, il prend le parti de sa mère.

Edgar commence à écrire, d’abord des poèmes. Il lit Virgile, Ovide, Cicéron, il est influencé par Lord Byron. Mais les relations avec son père adoptif se détériorent. Tout en suivant toujours une éducation brillante, Edgar contracte des dettes de jeu. Le père adoptif, John Allan, refuse de payer les frais de l’Université, sabote les fiançailles d’Edgar et d’une jeune femme dont il était amoureux, Elmira Royster. A l’âge de dix-huit ans, Edgar s’en va. Il s’embarque sur un bateau sous un faux nom, puis encore sous un autre nom, il s’engage comme artilleur dans l’armée. Il voyage en Caroline, est stationné sur l’île Sullivan, qui servira de décor au Scarabée d’or, part en Virginie et finalement quitte l’armée. C’est à la même époque que le « militaire poète » publie à compte d’auteur un recueil de poèmes, Tamerlan.

En 1829, sa mère adoptive meurt. Il se réconcilie puis se brouille de nouveau avec son père adoptif. Il cherche son soutien avant de démissionner de l’armée puis d’intégrer West Point. Il finit par y être accepté, au début il y fait de brillantes études, puis il s’en fait renvoyer. Alors, fils de comédiens ambulants du Massachusetts, patricien virginien, adolescent en Angleterre, traumatisé par la mort de sa mère, puis par celle de sa mère adoptive, élevé sans père, en conflit avec son père adoptif, séparé de celle qu’il aime par le même père, brillant, difficile, asocial, attiré par les lettres classiques, poète, mais tenté à la fois par la carrière militaire, Edgar Allan est à la recherche d’une identité, d’un ancrage. Sa place, il la trouvera dans la littérature. Il laissera une œuvre originale, cohérente, d’une remarquable influence. Mais il ne connaîtra pas la gloire de son vivant.

Carrière littéraire

Il retourne à Baltimore, et éprouve beaucoup de difficultés à se faire publier ou à trouver le succès. Pour ne pas mourir de faim, il est aussi journaliste, pigiste. En 1835, il obtient enfin un poste comme critique littéraire au Southern Literary Messenger. Il s’attaque à des talents célébrés par la critique mais qui lui semblent usurpés. Il se marie, quitte le journal, on lui reproche son alcoolisme, et il publie Les aventures d’Arthur Gordon Pym qui n’obtient aucun succès. Puis il publie La chute de la maison Usher avec le Gent’s Mag. En 1840, il fonde son propre journal littéraire, le Pen Magazine. Puis en 1841 il rejoint le Graham’s Gentleman’s magazine ; il y gagne sa vie, s’attaque aux cercles littéraires dominants de New York et de Boston. Puis il rencontre Charles Dickens, évoque avec lui la protection du droit d’auteur international (à l’époque, en l’absence d’une protection juridique claire, les livres anglais étaient publiés libres de droit aux Etats-Unis ; c’est d’ailleurs ainsi que des grosses maisons d’édition américaines firent fortune, en piratant les œuvres d’auteurs anglais célèbres, et ce sont les mêmes qui sont maintenant les plus ardents défenseurs du copyright… ; c’est embêtant, l’ignorance de l’histoire…). Afin de concilier besoins financiers et volonté d’écrire, il cherche à entrer dans l’administration, mais il n’y parvient pas. En 1845, il publie le poème Le corbeau, probablement le plus grand succès de son vivant. Sa femme Virginia meurt en 1847, il écrit Euréka ou Essai sur l’univers matériel et spirituel, un ouvrage qu’il considère comme l’un de ses plus importants. Il a des problèmes avec l’alcool. Ses conférences sur Le principe poétique rencontrent un grand succès : la première à Providence, puis la seconde à Richmond. En 1849, il meurt dans des conditions mystérieuses : on le retrouve ivre, battu et dans des vêtements qui ne sont pas les siens.

La théorie de l’effet unique

Il développe ses principales théories esthétiques et littéraires dans The philosophy of composition, traduit en France sous le titre Genèse d’un poème. C’est là qu’il explique la théorie de l’effet unique : le but de l’art est esthétique avant tout. Ainsi, le texte doit tendre vers sa propre réalisation, sans digressions, le texte n’a pas de rôle moral. C’est pour cela que Poe a finalement fait si peu de romans, et autant de contes ; le conte ou la nouvelle lui semblent appropriées à son projet littéraire et esthétique, la recherche d’une certaine forme d’harmonie, de perfection, par l’organisation de tous les éléments du texte vers un équilibre parfait, d’où tous les aspects non essentiels et nécessaires auraient été gommés. En cela très inspiré par les théories esthétiques d’un Aristote, nous pensons, il rejette l’hubris ou la fancy, c'est-à-dire l’imagination débridée, non contrôlée, laissée à elle-même et portée par son propre flux, au détriment de la recherche d’une forme de perfection et d’unité presque originelles. Tout doit donc tendre vers un but, une intrigue solide comme un câble métallique, autour duquel les personnages, les enchaînements tendent, agrémentés par un style homogène.

Le travail et le style de Poe

Quelles en sont les principales caractéristiques ? Poe est l’ennemi du spontané, de l’improvisation. Il n’hésite pas à reprendre son texte de nombreuses fois, afin d’arriver au résultat escompté, celui d’un texte où toute hésitation, élan non contrôlé de l’auteur aura été enlevé. Le texte, un peu à la manière classique, existe en soi. Tout travail vise à éliminer l’inutile, à resserrer le texte au maximum. Son caractère obsessionnel se manifeste aussi dans la tendance qu’il avait à reprendre ses textes déjà publiés en vue d’une réédition. En cela, Poe s’inscrit à l’opposé des grands romanciers fleuve ou feuilletonesques du Dix Neuvième siècle. Poe utilise beaucoup de mots complexes, d’origine latine, des mots polysyllabiques peu employés dans la langue anglaise, « phantasmagoric » plutôt que « strange » « spurious » plutôt que « fake », etc… Ensuite, ses phrases sont longues, parfois compliquées, les formules un peu alambiquées visent à la création d’une ambiance. Il utilise aussi de répétitions fréquentes, une multiplicité d’adjectifs, empruntant ainsi à la littérature anglaise plus classique, des images parfois surprenantes, nombreuses, qui tout en renforçant l’ambiance, tendent à alourdir la lecture.

La littérature américaine à l’époque de Poe

A l’époque, il n’existe pas de littérature américaine constituée. La seule forme de littérature nationale qui existait à l’époque, c’était des romans de la prairie comme Fenimore Cooper ou encore Washington Irving. Il existait aussi une mode des récits fantastiques, d’angoisse ou d’horreur, popularisés en partie par le Blackwood magazine, et influencés par le romantisme anglais de Ann Radcliffe, Shelley, ou Byron. L’ambition de Poe était de créer une véritable littérature nationale. Tout en restant très influencé par le Romantisme anglais, il voulait se démarquer de l’influence européenne sur la littérature américaine.

La cosmogonie de Poe : Eureka

Poe a produit d’importants écrits théoriques, influencés par Coleridge et Schlegel. Pour comprendre les conceptions littéraires précédemment exposées, il faut comprendre sa vision cosmogonique, exposée dans Euréka, fondée principalement sur l’intuition d’une unicité primordiale de l’univers. Il évoque une particule originelle, d’origine divine, à partir de laquelle la diversité présente du monde que nous avons sous les yeux se serait développée. Il anticipe, tout en multipliant les approximations et les erreurs scientifiques, le Big Bang, les trous noirs, il imagine que la mort n’existe pas vraiment, rejoignant ainsi une forme de transcendantalisme, et par ce travail, élève l’intuition poétique au dessus du rationalisme scientifique.

Poe et Charles Baudelaire

Poe a transformé Charles Baudelaire et Charles Baudelaire a transformé Poe. On dit que Baudelaire, lorsqu’il découvrit Poe, crut reconnaître dans ces textes certaines des images et des idées qu’il aurait eues par le passé. La réalité, c’est que Baudelaire développa une véritable passion, une obsession pour Poe, qu’il consacra dix-sept ans à la traduction de ses œuvres et qu’il ressentit, suite au premier choc de la découverte de l’œuvre de Poe, une affinité profonde entre sa poésie et les contes de l’américain. Sa vie difficile, sa pauvreté, l’alcoolisme, la dépression, tout ceci l’influence, lui offrent un modèle, et qui sait une raison d’être ?. Là naît une relation fusionnelle d’outre tombe, qui influencera grandement l’art de Baudelaire .

Mais  Baudelaire transformera aussi Poe. Baudelaire n’est pas un traducteur professionnel. Baudelaire n’a pas non plus à l’époque la formidable maîtrise de l’anglais que l’on lui suppose. Et si Baudelaire ne modifiera rien à l’intrigue, à la solidité du texte, il renforcera l’ambiance en apportant une poésie parfois manquant un peu dans l’original. Ainsi, aux  forces de l’original, ambiance, logique, homogénéité, unicité d’intrigue, absence de digressions, imagination créatrice, grande originalité des thèmes, fantastique, policier, angoisse et suspense, horreur, symbolisme gothique, post chrétien, romantique, Baudelaire a ajouté une langue moins sèche, moins désincarnée, plus poétique, et Baudelaire a créé un Poe différent, dont l’influence sur le public français fut telle que Mallarmé lui aussi décida de le traduire, Lacan l’étudia, Marie Bonaparte en fit la psychanalyse… Mais c’est aussi la traduction et l’enthousiasme de Baudelaire pour l’auteur américain qui expliquent une autre des caractéristiques de l’héritage de Poe : l’existence de deux Poe littéraires, le Poe américain et le Poe français.

Image en France, image aux Etats-Unis

Ce fut l’une des grandes surprises d’un des premiers voyages américains des Editions de Londres, il y a de nombreuses années : la rencontre avec un professeur de littérature américaine qui sourit de mon enthousiasme pour Poe. Et maintenant, je comprends mieux. Poe est un auteur bien plus riche et complexe que ses détracteurs veuillent bien l’admettre. Et des détracteurs, aux Etats-Unis, il en a. Il suscite l’admiration de même qu’une certaine complaisance. En France, comme il a été réincarné par Baudelaire, il est hors de question, voire inintéressant d’en faire la critique. Mais aux Etats-Unis, ce n’est pas pareil. Et pourtant, si l’on s’intéresse de près aux critiques américaines, certaines raisonnables, d’autres franchement stupides, elles ont une certaine cohérence. Les admirateurs de Poe dans le monde anglophone sont souvent des non littéraires ou eux-mêmes des marginaux de la littérature, Hitchcock, Oscar Wilde, Lovecraft : ce sont l’ambiance et les histoires qui les influencent. Ses critiques s’en prennent au style, à la langue, débat totalement ignoré en France, et pour cause, Baudelaire. Mais, dans un débat si marqué entre les Américains et les Français, il faut probablement se tourner ailleurs pour trouver le mot de la fin, et ce n’est pas Jorge Luis Borgès, qui l’appréciait beaucoup et dont la langue parfois ésotérique et un peu désincarnée présente certaines vagues analogies avec celle de Poe ; c’est Fedor Dostoïevski qui, dans sa Préface aux trois récits d’Edgar Poe, compare le fantastique romantique de Hoffmann au fantastique matériel de Poe, dont il loue « l’art de suggérer le caractère plausible d’évènements surnaturels ».

L’influence de Poe

Tous s’accordent là-dessus : l’influence de Poe sur la littérature et l’art en général est tout bonnement extraordinaire.

Poe jette les bases du roman policier avec Dupin, qui influencera Conan Doyle. Il fonde les bases de la science fiction, influençant ainsi H.G. Wells, celles du roman d’aventures que reprendront Jules Verne, ou Stevenson, il créée le héros déchiré, introspectif qui influencera Dostoïevski…

En France, en Angleterre, aux Etats-Unis ou ailleurs, Poe est incontournable ; découvrons le dans cette édition bilingue.

© 2015 - Les Éditions de Londres

WILLIAM WILSON
Traduction de Charles Baudelaire

Qu’en dira-t-elle ? Que dira cette conscience affreuse,
Ce spectre qui marche dans mon chemin
 ?

Chamberlayne. Pharronida.

[E]

Qu’il me soit permis, pour le moment, de m’appeler William Wilson. La page vierge étalée devant moi ne doit pas être souillée par mon véritable nom. Ce nom n’a été que trop souvent un objet de mépris et d’horreur, — une abomination pour ma famille. Est-ce que les vents indignés n’ont pas ébruité jusque dans les plus lointaines régions du globe son incomparable infamie ? Oh ! de tous les proscrits, le proscrit le plus abandonné ! — n’es-tu pas mort à ce monde à jamais ? à ses honneurs, à ses fleurs, à ses aspirations dorées ? — et un nuage épais, lugubre, illimité, n’est-il pas éternellement suspendu entre tes espérances et le ciel ?

[E]

Je ne voudrais pas, quand même je le pourrais, enfermer aujourd’hui dans ces pages le souvenir de mes dernières années d’ineffable misère et d’irrémissible crime. Cette période récente de ma vie a soudainement comporté une hauteur de turpitude dont je veux simplement déterminer l’origine. C’est là pour le moment mon seul but. Les hommes, en général, deviennent vils par degrés. Mais moi, toute vertu s’est détachée de moi en une minute, d’un seul coup, comme un manteau. D’une perversité relativement ordinaire, je suis passé, par une enjambée de géant, à des énormités plus qu’héliogabaliques. Permettez-moi de raconter tout au long quel hasard, quel unique accident a amené cette malédiction. La Mort approche, et l’ombre qui la devance a jeté une influence adoucissante sur mon cœur. Je soupire, en passant à travers la sombre vallée, après la sympathie — j’allais dire la pitié — de mes semblables. Je voudrais leur persuader que j’ai été en quelque sorte l’esclave de circonstances qui défiaient tout contrôle humain. Je désirerais qu’ils découvrissent pour moi, dans les détails que je vais leur donner, quelque petite oasis de fatalité dans un sahara d’erreur. Je voudrais qu’ils accordassent — ce qu’ils ne peuvent pas se refuser à accorder — que, bien que ce monde ait connu de grandes tentations, jamais l’homme n’a été jusqu’ici tenté de cette façon, — et certainement n’a jamais succombé de cette façon. Est-ce donc pour cela qu’il n’a jamais connu les mêmes souffrances ? En vérité, n’ai-je pas vécu dans un rêve ? Est-ce que je ne meurs pas victime de l’horreur et du mystère des plus étranges de toutes les visions sublunaires ?

[E]

Je suis le descendant d’une race qui s’est distinguée en tout temps par un tempérament imaginatif et facilement excitable ; et ma première enfance prouva que j’avais pleinement hérité du caractère de famille. Quand j’avançai en âge, ce caractère se dessina plus fortement ; il devint, pour mille raisons, une cause d’inquiétude sérieuse pour mes amis et de préjudice positif pour moi-même. Je devins volontaire, adonné aux plus sauvages caprices ; je fus la proie des plus indomptables passions. Mes parents, qui étaient d’un esprit faible et que tourmentaient des défauts constitutionnels de même nature, ne pouvaient pas faire grand’chose pour arrêter les tendances mauvaises qui me distinguaient. Il y eut de leur côté quelques tentatives, faibles, mal dirigées, qui échouèrent complètement, et qui tournèrent pour moi en triomphe complet. À partir de ce moment, ma voix fut une loi domestique ; et, à un âge où peu d’enfants ont quitté leurs lisières, je fus abandonné à mon libre arbitre, et devins le maître de toutes mes actions, — excepté de nom.

[E]

Mes premières impressions de la vie d’écolier sont liées à une vaste et extravagante maison du style élisabethain, dans un sombre village d’Angleterre, décoré de nombreux arbres gigantesques et noueux, et dont toutes les maisons étaient excessivement anciennes. En vérité, c’était un lieu semblable à un rêve et bien fait pour charmer l’esprit que cette vénérable vieille ville. En ce moment même, je sens en imagination le frisson rafraîchissant de ses avenues profondément ombreuses, je respire l’émanation de ses mille taillis, et je tressaille encore, avec une indéfinissable volupté, à la note profonde et sourde de la cloche, déchirant à chaque heure, de son rugissement soudain et morose, la quiétude de l’atmosphère brune dans laquelle s’enfonçait et s’endormait le clocher gothique tout dentelé.

[E]

Je trouve peut-être autant de plaisir qu’il m’est donné d’en éprouver maintenant à m’appesantir sur ces minutieux souvenirs de l’école et de ses rêveries. Plongé dans le malheur comme je le suis, — malheur, hélas ! qui n’est que trop réel, — on me pardonnera de chercher un soulagement, bien léger et bien court, dans ces puérils et divagants détails. D’ailleurs, quoique absolument vulgaires et risibles en eux-mêmes, ils prennent dans mon imagination une importance circonstanciée, à cause de leur intime connexion avec les lieux et l’époque où je distingue maintenant les premiers avertissements ambigus de la destinée, qui depuis lors m’a si profondément enveloppé de son ombre. Laissez-moi donc me souvenir.

[E]

La maison, je l’ai dit, était vieille et irrégulière. Les terrains étaient vastes, et un haut et solide mur de briques, couronné d’une couche de mortier et de verre cassé, en faisait le circuit. Ce rempart digne d’une prison formait la limite de notre domaine ; nos regards n’allaient au delà que trois fois par semaine, — une fois chaque samedi, dans l’après-midi, quand, accompagnés de deux maîtres d’étude, on nous permettait de faire de courtes promenades en commun à travers la campagne voisine, et deux fois le dimanche, quand nous allions, avec la régularité des troupes à la parade, assister aux offices du soir et du matin dans l’unique église du village. Le principal de notre école était pasteur de cette église. Avec quel profond sentiment d’admiration et de perplexité avais-je coutume de le contempler, de notre banc relégué dans la tribune, quand il montait en chaire d’un pas solennel et lent ! Ce personnage vénérable, avec ce visage si modeste et si bénin, avec une robe si bien lustrée et si cléricalement ondoyante, avec une perruque si minutieusement poudrée, si roide et si vaste, pouvait-il être le même homme qui, tout à l’heure, avec un visage aigre et dans des vêtements souillés de tabac, faisait exécuter, férule en main, les lois draconiennes de l’école ? Oh ! gigantesque paradoxe, dont la monstruosité exclut toute solution !

FIN DE L’EXTRAIT

WILLIAM WILSON
English version

What say of it? What say of conscience grim,
That spectre in my path?

Chamberlayne's Pharronida.

[F]

Let me call myself, for the present, William Wilson. The fair page now lying before me need not be sullied with my real appellation. This has been already too much an object for the scorn—for the horror—for the detestation of my race. To the uttermost regions of the globe have not the indignant winds bruited its unparalleled infamy? Oh, outcast of all outcasts most abandoned!—to the earth art thou not forever dead? to its honors, to its flowers, to its golden aspirations?—and a cloud, dense, dismal, and limitless, does it not hang eternally between thy hopes and heaven?

[F]

I would not, if I could, here or to-day, embody a record of my later years of unspeakable misery, and unpardonable crime. This epoch—these later years—took unto themselves a sudden elevation in turpitude, whose origin alone it is my present purpose to assign. Men usually grow base by degrees. From me, in an instant, all virtue dropped bodily as a mantle. From comparatively trivial wickedness I passed, with the stride of a giant, into more than the enormities of an Elah-Gabalus. What chance—what one event brought this evil thing to pass, bear with me while I relate. Death approaches; and the shadow which foreruns him has thrown a softening influence over my spirit. I long, in passing through the dim valley, for the sympathy—I had nearly said for the pity—of my fellow men. I would fain have them believe that I have been, in some measure, the slave of circumstances beyond human control. I would wish them to seek out for me, in the details I am about to give, some little oasis of fatality amid a wilderness of error. I would have them allow—what they cannot refrain from allowing—that, although temptation may have erewhile existed as great, man was never thus, at least, tempted before—certainly, never thus fell. And is it therefore that he has never thus suffered? Have I not indeed been living in a dream? And am I not now dying a victim to the horror and the mystery of the wildest of all sublunary visions?

[F]

I am the descendant of a race whose imaginative and easily excitable temperament has at all times rendered them remarkable; and, in my earliest infancy, I gave evidence of having fully inherited the family character. As I advanced in years it was more strongly developed; becoming, for many reasons, a cause of serious disquietude to my friends, and of positive injury to myself. I grew self-willed, addicted to the wildest caprices, and a prey to the most ungovernable passions. Weak-minded, and beset with constitutional infirmities akin to my own, my parents could do but little to check the evil propensities which distinguished me. Some feeble and ill-directed efforts resulted in complete failure on their part, and, of course, in total triumph on mine. Thenceforward my voice was a household law; and at an age when few children have abandoned their leading-strings, I was left to the guidance of my own will, and became, in all but name, the master of my own actions.

[F]

My earliest recollections of a school-life, are connected with a large, rambling, Elizabethan house, in a misty-looking village of England, where were a vast number of gigantic and gnarled trees, and where all the houses were excessively ancient. In truth, it was a dream-like and spirit-soothing place, that venerable old town. At this moment, in fancy, I feel the refreshing chilliness of its deeply-shadowed avenues, inhale the fragrance of its thousand shrubberies, and thrill anew with undefinable delight, at the deep hollow note of the church-bell, breaking, each hour, with sullen and sudden roar, upon the stillness of the dusky atmosphere in which the fretted Gothic steeple lay imbedded and asleep.

[F]

It gives me, perhaps, as much of pleasure as I can now in any manner experience, to dwell upon minute recollections of the school and its concerns. Steeped in misery as I am—misery, alas! only too real—I shall be pardoned for seeking relief, however slight and temporary, in the weakness of a few rambling details. These, moreover, utterly trivial, and even ridiculous in themselves, assume, to my fancy, adventitious importance, as connected with a period and a locality when and where I recognise the first ambiguous monitions of the destiny which afterwards so fully overshadowed me. Let me then remember.

[F]

The house, I have said, was old and irregular. The grounds were extensive, and a high and solid brick wall, topped with a bed of mortar and broken glass, encompassed the whole. This prison-like rampart formed the limit of our domain; beyond it we saw but thrice a week—once every Saturday afternoon, when, attended by two ushers, we were permitted to take brief walks in a body through some of the neighbouring fields—and twice during Sunday, when we were paraded in the same formal manner to the morning and evening service in the one church of the village. Of this church the principal of our school was pastor. With how deep a spirit of wonder and perplexity was I wont to regard him from our remote pew in the gallery, as, with step solemn and slow, he ascended the pulpit! This reverend man, with countenance so demurely benign, with robes so glossy and so clerically flowing, with wig so minutely powdered, so rigid and so vast,—could this be he who, of late, with sour visage, and in snuffy habiliments, administered, ferule in hand, the Draconian laws of the academy? Oh, gigantic paradox, too utterly monstrous for solution!

END OF SAMPLE

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