Il est de plus en plus rare d'être impressionné par des politiques, et surtout par des chefs d'État. D'accord, ils ont la fonction qui leur confère automatiquement une certaine prestance, même quand ils ont l'allure d'un pingouin. Mais la fonction ne fait pas l'homme, et à la fin elle le broie et l'annihile. Bien loin sont les temps où Churchill, De Gaulle, Roosevelt, ou plus récemment Kennedy, Mandela, faisaient vibrer. On avait l'impression d'appartenir. Ces gens créaient du lien social, inspiraient une génération, lui donnaient envie d'être ensemble.
Puis en 2004, il y eut ce fameux discours d'Obama à la convention démocrate. A l'époque, les Européens ne savaient rien de lui. Et il y eut la campagne présidentielle de 2008. Barack Obama fut élu. En quelques mois il était devenu l'idole des Européens. Aux États-Unis, il polarisait beaucoup plus.
Maintenant, Obama est haï par la droite conservatrice, et il n'est pas tant aimé que cela de ses partisans démocrates.
En Europe, l'image d'Obama s'est affadie. On lui reproche le contraire de ce que lui reproche la droite américaine. Et un peu partout, ceux qui n'arrivent pas à règler le problème de la dette d'un pays grand comme un État pauvre des États-Unis, ceux qui sont impuissants face à des canots pneumatiques remplis de migrants désespérés, ceux qui n'arrivent pas à empêcher le blocus du tunnel sous la Manche par trente grévistes en colère, les mêmes émettent un jugement mitigé sur bientôt 7 ans de présidence Obama. Oubliés la réforme du Healthcare, la normalisation des liens avec Cuba, les négociations avec l'Iran, la remise en cause du status quo avec Israël.
Et pourtant...
Ce qui devrait rester d'une grande présidence, ce sont des images, des mots, des actes qui inspirent les générations futures. Et Obama est le seul chef d'état à être capable d'offrir cela à l'occident et au monde.
Il y a deux semaines, un gamin blanc rempli de haine tuait neuf personnes au cours d'une séance d'études religieuses dans une des plus anciennes églises de Charleston. La semaine dernière, pour les funérailles, Obama était invité à prononcer un discours devant la communauté de Charleston endeuillée.
Son discours fut extraordinaire, il parla de pardon, pas de "tolérance", il parla de race et d'oppression, pas de "vivre ensemble" il parla d'espoir, pas d'"amalgame"...
Et puis, soudain il fait quelque chose d'extraordinaire. Une pause de dix secondes, il abandonne son discours, et il commence à chanter Amazing Grace
Regardez les réactions autour de lui!
C'est un des grands moments de cette décennie. C'est tout ce que la politique n'est plus et devrait être: spontanée, émouvante, suggestive. Tout est dit.
Mais qu'en dirent nos amis de Libération, qu'il chanta un hymne "chrétien" très populaire aux Etats-Unis, Le Monde reprit les mêmes mots...Nous sommes Français, l'incursion du religieux dans le public, c'est réac, c'est bigot, c'est...américain. Pouah...
Si tout va mal en Europe, c'est que nos soi-disant intellectuels, élites et personnalités publiques n'ont rien compris. Ils n'ont rien compris au monde qui se dresse devant eux. Ils n'ont pas compris que ceux qui chantent "Amazing grace" sont bien plus proches de l'esprit des Lumières que ceux que toute référence au religieux horripile. Ils n'ont pas compris que l'important est de redonner l'espoir, la foi dans un monde différent à tous ceux qui vivent dans une société de plus en plus déboussolée, aseptisée, corsetée, épuisée par la peur et l'ennui.
Obama n'est pas un théoricien. Il a un discours, car c'est son travail de président. Il a senti le moment, il a créé ce contact avec son audience comme tous les grands orateurs. Pendant quelques minutes, et pour l'éternité (de ceux qui reverront ces images), il a réconcilié les bourreaux et les victimes, la douleur avec la vie, l'espoir avec la réalité.
C'est son plus grand moment. Lorsque les "élites" françaises l'auront compris, alors il y aura peut-être un espoir.
Vous avez tellement à apprendre d'Obama chantant "Amazing grace".
© 2015-Les Editions de Londres
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