par Georges Darien
Prix : 0,99 €
ISBN : 978-1-908580-46-7
Nombre de pages : 216 pages
Langue du livre : français
Thème : Romans
« Biribi » est un roman écrit en 1888 par Georges Darien et publié en 1890. Biribi est tiré de l'expérience de l'auteur dans les camps disciplinaires de l'armée coloniale d'Afrique du Nord, les fameux Bat' d'Af. « Biribi » est l'un des plus beaux livres antimilitaristes, un des plus beaux témoignages de l'horreur de l'incarcération. En cela, il s'inscrit sans aucun doute dans la longue tradition des romans et récits carcéraux, avec Le zéro et l'infini d'Arthur Kœstler, Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski, ou encore Letter from Birmingham jail de Martin Luther King et les textes de Nelson Mandela. « Biribi » est aussi à l'origine du reportage d'Albert Londres sur les mêmes camps disciplinaires, Dante n'avait rien vu, dont la publication entraînera la fermeture de...Biribi.
Darien s'engage dans l'armée en 1881. Il en sort en 1886 après soixante mois d'armée et trois ans de bagne. Ce sont ses nombreuses révoltes contre la discipline militaire qui valent à Darien de passer en conseil de guerre, puis d'être transféré au bagne militaire de Gafsa, en Tunisie, où il restera trente-trois mois. Il ne fait aucun doute que cette expérience d'une brutalité terrible ait fait de Darien un homme meurtri, fâché, blessé, et qui ne pardonnera jamais. En gros, comme on dirait de nos jours, c'est tout le système qui le débecte. L'armée et sa discipline stupide, l'incarcération sans autre forme de procès, ce n'est que la partie immergée de l'iceberg. Tout au long de sa vie et de sa carrière littéraire, il s'attachera à dénoncer les bourgeois, les catholiques, les antisémites, les nationalistes revanchards, les colonialistes, les exploiteurs, les pauvres soumis (dans une tradition qui d'ailleurs n'est pas sans rappeler La Boétie et le Discours de la servitude volontaire, autre ouvrage tombé dans l'oubli), mais le démarrage de tout cela, ce que l'amateur de Darien ne doit pas oublier, c'est trois ans passés au bagne. Il est si facile dans les études littéraires de regarder une chronologie, et de dématérialiser la réalité de l'homme. Or, la vie, c'est ça. La vie, ce ne sont pas les dix pages de chronologie après les postfaces, c'est trente-trois mois, à peu près mille jours de cagnard, de coups de trique, de menaces, de soif, de faim, de travaux forcés, d'angoisse, de saleté, de bestioles, de sueur, de peur, de haine, d'envie de suicide. C'est bien pour cela qu'aux Editions de Londres, nous qui cherchons à ramener la vie dans la littérature, ou la littérature à la vie, nous considérons qu'il faut lire « Biribi » pour comprendre Darien, nous avons décidé de commencer la publication de ses œuvres avec « Biribi ».
« La haine est immortelle », dit mon héros dans un chapitre de ce livre. Non, elle finit par s'éteindre ; elle est tellement lourde à porter ! Si grandes qu'aient été sa misère et ses douleurs, si justes que puissent être ses ressentiments, l'homme, sortant du milieu où il a souffert, ne demande qu'à oublier. Il oubliera, lui aussi. Ou alors, il faudrait qu'il ne trouvât dans la société où il est rentré que la déception qui brise après l'humiliation qui ronge, que le désespoir morne après la souffrance rageuse.
En trois cents pages, il décrit les conditions iniques de sa détention, les gardes-chiourmes, dégénérés, alcooliques, psychopathes, les camps militaires, les rapports humains entre faibles et forts, l'homosexualité, la mission de civilisation de la France en Afrique du Nord, et il s'en prend aux militaires, à l'armée, aux hommes, aux lâches, aux faibles, aux forts, à la bourgeoisie qui demande ce système, cet embrigadement des âmes, cette mise à disposition des corps quand les âmes se rebiffent.
« Biribi » n'est pas un roman comme les autres, celui d'un homme qui s'apitoie sur son sort, ce n'est pas non plus un roman bravache, de celui qui a gommé ses instants de faiblesse pour donner une vision romancée et positive de son expérience exceptionnelle. Non, ce que l'on sent sous la plume de Darien, à chaque page, ce qui explique la nervosité de son coup de stylo, le rythme de ses phrases, incisives comme autant de coups de scalpel sur le spectacle languissant de notre apathie, c'est la haine, c'est la révolte. Elle ne le quittera pas.
Derrière tout cela, il y a bien davantage évidemment. Car le roman du bagne, ne serait-ce pas celui de la société ? En effet, à cette époque comme à la nôtre, on aime à gommer, cacher, dissimuler nos tares. Et si la société se comprenait par sa périphérie ?
Si la société d'une époque, ce n'était pas son centre, la richesse, la technique, la culture, la résorption ou non des inégalités, ses beaux discours, ses prises de position, ses belles intentions, ses journaux télévisés, si la société n'était jamais que ce qui est à la marge? Mais pas la marge que l'on romance, les légionnaires, les écrivains maudits, les artistes des pâles heures de la nuit, mais plutôt celle que l'on cache, que l'on dissimule, que l'on enterre au fond de l'océan, à l'époque de Darien, les bagnes militaires, les populations coloniales oppressées, les incestes, les enfants qui meurent dans des bouges; à notre époque, les prisons Dix Neuvième siècle dans lequel on entasse les condamnés, les asiles d'aliénés, les enfants qui chaque jour vivent l'enfer à l'école ou dans les cités, les dépossédés qui chaque jour se font brimer par des petits chefs, les chômeurs longue durée qui ont envie de mourir dans une société qui souhaiterait les oblitérer, les clochards qui mendient à genoux au milieu des rues où effluves de vinasse et d'urine croisent les parfums Dior, les humiliations permanentes ? Et si c'était cela, la société ? La périphérie ? Si c'est cela, Darien l'a bien comprise, la société de son époque. Et de son bagne d'Afrique du Nord, il est revenu, armé, révolté, pour lui faire la peau, pour lui dire ses quatre vérités.
© 2011- Les Editions de Londres