par Charles Nodier
Prix : 1,99 €
ISBN : 978-1-909782-30-3
Nombre de pages : 179 pages
Langue du livre : français
Thème : Romans
« La fée aux miettes » est un roman fantastique de Charles Nodier publié en 1832, deux ans après la publication de la traduction française des contes d'Hoffmann.
Le narrateur principal se rend dans une maison de santé de Glasgow où il rencontre le charpentier Michel, originaire de Granville, qui lui raconte son histoire. Michel est le fils d'un négociant qui aurait dû lui laisser une fortune mais qui a disparu. Il commence à apprendre le métier de charpentier quand son oncle et tuteur part à la recherche de son père, recherche dont lui non plus n'est pas revenu. Il rencontre alors une vieille mendiante de très petite taille surnommée la Fée aux miettes. Celle-ci mendie depuis plusieurs générations à la porte de l'église de Granville. Michel lui donne régulièrement de l'argent, générosité qui lui vaut la reconnaissance de la (très) vieille femme. La Fée prédit un avenir merveilleux à Michel, et lui demande de l'épouser le jour de ses vingt et un ans, ce que ce dernier accepte, en dépit de l'apparence physique de la vieille femme : haute comme trois pommes, vieille comme une pyramide d'Egypte, fripée, et avec deux grandes canines qui dépassent de sa bouche. Michel s'embarque ensuite sur un bateau, La Reine de Saba, qui fait naufrage au large d'une île proche des côtes anglaises. Il découvre que la Fée aux miettes l'a suivie, dissimulée dans un sac. Elle lui confie un médaillon, celui de Belkiss, la Reine de Saba. Puis les aventures de Michel continuent, tout à fait dans la tradition d'un roman initiatique, en moins réaliste toutefois...Il va à la noce d'une troupe de chiens notables sur l'île de Man, se bat avec des êtres à tête d'animaux, croit remplir son devoir conjugal avec Belkiss dont il est réellement amoureux, découvre ensuite que la Fée aux miettes est en réalité Belkiss. Puis enfin, il part à la recherche de la mandragore qui chante, dont la découverte le conduira sur le chemin du bonheur.
Il ne faut pas oublier que Nodier séjourna en Ecosse, où il rencontra Walter Scott. Cette influence écossaise se retrouve naturellement dans « Trilby ou le lutin d'argail », mais aussi dans le choix de Glasgow (à l'époque l'une des plus grandes villes d'Europe) comme ouverture et fin de l'histoire.
« La Fée aux miettes » est déconcertant par la multiplicité d'influences entrecoupées qu'une étude approfondie ou un certain nombre de lectures permet de découvrir. Mais le point de départ et d'arrivée de l'histoire, la clé pour comprendre la portée, et l'inspiration de « La Fée aux miettes », ce sont les lunatiques. Voici ce qu'en dit Nodier : « Les lunatiques sont des hommes qu'on appelle ainsi, je suppose, parce qu'ils s'occupent aussi peu des affaires de notre monde que s'ils descendaient de la lune, et qui ne parlent au contraire que de choses qui n'ont pu se passer nulle part, si ce n'est dans la lune, peut être. »
Là réside tout le projet littéraire, ou encore, philosophique, voire moral, de Nodier. A la base de « La Fée aux miettes », on trouve le rejet du monde moderne. On pourra dire qu'à l'origine de la vocation de l'écrivain on retrouve souvent le rejet du monde actuel, ou plus fondamentalement une difficulté de s'y adapter. C'est juste, mais chez Nodier, c'est un peu différent : l'écriture est un refuge, un repli sur un monde aux possibilités infinies qui lui permet d'échapper à l'étroitesse de son siècle raisonnable. L'écriture de Nodier, c'est un peu ce lunatisme sublimé en un narratif débridé, c'est la volonté de chercher ailleurs une vie plus belle, une vie plus à l'image des vraies possibilités de la nature humaine. Comme chez le fou, il y a souvent des traits de génie chez Nodier.
En dépit de son style un peu désuet, et qui semblera peut être pécher par un certain manque d'originalité ou de puissance à l'amoureux de Nerval ou de Rimbaud, en dépit de son narratif parfois difficile à suivre, une suite invraisemblable d'aventures un peu à la mode des contes Voltairiens par l'enchaînement rapide d'évènements qui donne parfois le tournis, le conte de Nodier occupe un genre à lui tout seul. Il y a évidemment la dimension biblique : Salomon, reine de Saba, contemplation du médaillon de Belkiss, sacrilège assimilable au Veau d'or, rencontre avec des monstres etc. Puis il y a la dimension chrétienne, présente un peu partout : Michel est charpentier, le rejet des valeurs matérialistes, obsessives en ce début de siècle bourgeois, la générosité de Michel qui lui ouvre des portes, et lui gagne la reconnaissance de la Fée, laquelle peut être assimilée à un émissaire de Dieu, mais sans perdre sa dimension ambiguë, tentatrice, typique d'un petit lutin païen ; le registre féérique, l'incursion permanente de l'imaginaire et de l'onirique dans le récit réaliste, et évidemment la juxtaposition constante du rêve et de la folie, de l'onirisme et de la démence.
Comme nous le disions à l'instant, on retrouve beaucoup du registre des contes de fées, notamment les contes de Perrault, dans « La Fée aux miettes » ; on retrouve aussi des passages entiers de l'Apocalypse, du Livre de Daniel etc. Trois lectures sont à faire sur « La Fée aux miettes ». D'abord, une relecture biblique, qui mettra en lumière les multiples références à l'Ancien Testament. Ensuite, une lecture qui superposera des passages de « La Fée aux miettes » avec ceux de multiples contes des littératures française et étrangère. Et enfin, une lecture psychanalytique qui nous a frappé à peu près autant que les références bibliques : partager la couche de la mère, sublimer le désir de la femme par le fétichisme, peur du sexe masculin (le serpent) etc. C'est sans fin...
Un texte peu connu, d'apparence facile mais d'une surprenante richesse, étonnant comme un jeu de miroirs qui laisse le lecteur désorienté, ce qui était bien le but initial de Nodier ; voire l'utilisation du procédé narratif visant à introduire un narrateur anonyme qui conduit à un second narrateur, Michel, dont on ne sait si on doit donner crédit aux dires. « La Fée aux miettes » est à découvrir.
© 2013- Les Editions de Londres