Prix : 0,99 €
ISBN : 978-1-909053-09-0
Nombre de pages : 112 pages
Langue du livre : français
Thème : Contes
« Le Horla » est un recueil de quatorze nouvelles de Guy de Maupassant publié en 1895. Toutefois, la nouvelle « Le Horla », avec laquelle le recueil commence, est écrite et publiée en 1887. C'est une des plus grandes nouvelles de Maupassant, et l'un des premiers et des plus influents récits fantastiques. Par bien des aspects, « Le Horla » définit le genre fantastique.
« Le Horla » se présente comme le journal d'un homme, persécuté par une présence invisible, supérieure, qui s'apparente à un alter ego ou un double, et le fait sombrer dans la folie, au terme de laquelle l'homme persécuté trouve la délivrance dans le suicide. Dans un style impeccable, marqué par cette « langue simple, logique et nerveuse » dont nous parlions précédemment, le narrateur décrit d'une façon presque linéaire la succession d'incidents révélant la présence qui le hante, ne lui laissant à terme d'autre option que la mort. D'un point de vue narratif, « Le Horla » invente le thriller fantastique, le film d'angoisse de type hitchcockien, où le spectateur/lecteur assiste avec effroi à la suite d'évènements qui font basculer une existence d'un bonheur paisible vers un véritable enfer.
Tout commence en Normandie, par la présentation assez vague d'un homme qui se définit par l'originalité de ses réflexions, révélant le terreau ambigu sur lequel le drame va se dérouler. La succession des faits rappelle un tableau impressionniste gagnant peu à peu la clarté d'une photographie. Au départ, le narrateur sent une gêne, puis la fièvre, alors il s'enferme dans sa chambre, et a peur. Tout au cours de la narration, Maupassant ajoute des éléments qui ne semblent pas nécessairement liés au sujet central, si ce n'est qu'ils aident à préciser l'état d'esprit du narrateur, dont on ne sait presque rien. Il rencontre un moine sur une plage, avec lequel il parle de surnaturel. Il remarque que l'on boit son lait pendant la nuit. Chez sa cousine, il rencontre un médecin hypnotiste, et assiste à une expérience de contrôle de la pensée qui le bouleverse. De retour chez lui, il commence à sérieusement perdre les pédales, il se demande s'il est fou. Tout en s'en remettant à Dieu, il s'interroge de plus en plus sur la présence sur terre d'êtres surnaturels et supérieurs qui prendraient le contrôle des esprits et des vies des hommes, « un être nouveau, plus fort que lui, son successeur en ce monde... ». C'est alors qu'il lit dans une revue scientifique : « Une folie, une épidémie de folie, comparable aux démences contagieuses qui atteignirent les peuples d'Europe au moyen âge, sévit en ce moment dans la province de Sao Paulo. Les habitants éperdus quittent leurs maisons, désertent leurs villages, abandonnent leurs cultures, se disant poursuivis, possédés, gouvernés comme un bétail humain par des êtres invisibles bien que tangibles, des sortes de vampires qui se nourrissent de leur vie, pendant leur sommeil, et qui boivent en outre de l'eau et du lait sans paraître toucher à aucun autre aliment. »
A cet instant le narrateur se souvient de ce voilier venu du Brésil qu'il vit au début du récit remonter la Seine. Pour la première fois, le Horla est mentionné. Le narrateur réalise qu'il en est la victime, et n'a d'autre recours que faire face et de le tuer. Il met alors le feu à sa demeure, oubliant la présence de ses domestiques qui périssent dans le sinistre. Convaincu que le Horla a échappé au feu, il se donne la mort.
Il y a évidemment H.G. Wells dont on peut supposer qu'il ait lu « Le Horla » avant d'écrire La guerre des mondes. Pour ces interprètes du Horla, Maupassant aurait inventé l'un des principaux thèmes de la science-fiction, la chute du genre humain suite à l'invasion d'êtres supérieurs et animés de mauvaises intentions. En allant plus loin, on pourrait même voir dans certains passages du « Horla » des phrases annonçant presque Matrix ou Twin Peaks, surtout lorsque l'on sait que Philip K. Dick mentionne Maupassant parmi ses nombreuses influences. Mais à l'autre extrême, il y a aussi Le Double de Dostoïevski, puisque ne nous trompons pas : le Horla dans sa définition « extraterrestre » se situe à un deuxième niveau de réalité. Je m'explique, c'est avant tout un récit à la première personne ; nous ne connaissons la réalité décrite que par le biais d'un esprit malade, en proie à la folie et à la peur. Le thème central est clairement le mystère de l'alter ego ; existe-t-il quelque part un double qui veut notre mort, symbolisant ainsi la dualité insupportable de l'être humain, écartelé entre le bien et le mal, entre un monde de lumière qui le tente, et un monde des ténèbres qui n'est jamais loin, dualité qui conduit dans certaines situations à la mort ?
Mais nous maintenons aussi que Maupassant invente le récit d'angoisse, tout autant que la nouvelle fantastique. Avant lui, il y eut aussi ce formidable roman fantastique, La peau de chagrin de Balzac. Là où Maupassant innove, c'est dans la façon dont il décrit le basculement, la précision, la rapidité, la cohérence de la chaîne d'évènements qui se précipite sur le narrateur. On ne peut pas ne pas penser aux "Oiseaux" de Daphné du Maurier ou à la version de Hitchcock pour l'escalade narrative, ou encore Psychose pour le thème du Double, et finalement à la grande majorité des films d'angoisse dits hitchcockiens. D'accord, Hitchcock est probablement plus influencé par les histoires de doubles que par Maupassant. Spécifiquement : Poe avec William Wilson, Stevenson avec Dr Jekyll & Mr Hyde, Hoffman avec Die Doppelganger, Wilde avec Dorian Gray, Dostoïevski avec Le Double, et Maupassant avec Le Horla.
Nul doute que Maupassant n'allait pas bien en 1887 et qu'il était déjà en proie à une paranoïa aigue, à des prémices de folie, ou alors à une peur de la folie qui pouvait l'attendre au tournant. Cette nouvelle est émouvante parce qu'autobiographique. Dans « Le Horla » les propos du narrateur révèlent ou confirment certaines convictions de Maupassant sur la société dans laquelle il vit. Hostile à l'Etat, misanthrope, athée, anti-gouvernants...« Le peuple est un troupeau imbécile, tantôt stupidement patient, et tantôt férocement révolté. On lui dit : »Amuse-toi. ». Il s'amuse. On lui dit : « Va te battre avec le voisin. ». Il va se battre. », ou encore, cette sortie magnifique contre les dogmatiques qui nous polluent l'existence :« ...ils obéissent à des principes, lesquels ne peuvent être que niais, stériles et faux, par cela même que ce sont des principes, c'est-à-dire des idées réputées certaines et immuables, en ce monde où l'on n'est sûr de rien... »
Nous sommes bien conscients que nous ne leur rendons pas justice, mais découvrez les à tout prix : « Amour », d'une cruauté tragique, « Le trou », comique macabre, « Le Diable », macabre et drôle, « Le signe », « Joseph » où l'on pénètre dans l'intimité des conversations entre femmes sur les choses de l'amour, sans cette pruderie typique du Dix Neuvième siècle, encore un exemple de la modernité de Maupassant, puis l'étonnante cruauté de « Une famille », qui évoque la bonne famille française contemporaine, ou encore le réalisme cynique du « Vagabond ». Tout y est remarquable. C'est un des auteurs les plus adaptés, un des maîtres du récit court, un pessimiste à la grave légèreté, qui sort les personnages de leur carcan de papier et les rend vivants, en quelques lignes, sous nos yeux.
© 2012- Les Editions de Londres