« Le Rêve de D'Alembert » de Denis Diderot est écrit en 1769. Ensemble de trois dialogues philosophiques, précédé de Entretien entre D'Alembert et Diderot et suivi par Suite de l'entretien entre D'Alembert et Diderot, Diderot y règle son compte au dualisme cartésien qui distingue la matière et la pensée.
A bien des égards, « Le Rêve de D'Alembert » est un texte révolutionnaire.
Diderot est bien conscient qu'il est en train de franchir une nouvelle étape dans le démontage systématique de la vision du monde qui prévaut dans la société du Dix Huitième siècle. En cela, comme nous l'expliquions dans l'article sur Diderot, il va plus loin que la plupart de ses collègues de l'époque, Voltaire, Rousseau, Montesquieu, et même D'Alembert.
Influencé en cela par beaucoup des penseurs et des scientifiques du Dix Huitième siècle, il s'attaque au rôle de Dieu dans l'explication du monde, il va loin dans sa logique matérialiste. Ici, dans « Le Rêve de D'Alembert » plus que dans tout autre dialogue, il va au bout de sa logique critique, celle qui en fit l'infatigable Encyclopédiste que l'on connaît, à la recherche de la vérité contre vents et marées, sans jamais craindre d'offenser. Une vraie démarche philosophique scientifique qui refuse la construction d'un système, et explique l'aspect un peu fragmentaire de sa philosophie.
Diderot est d'ailleurs bien conscient de l'étape qu'il s'apprête à franchir puisqu'il utilise l'idée du Rêve pour mettre à bas nombre de théories en cours à son époque. En utilisant le côté presque délirant et désordonné de certains des propos de D'Alembert, il prend ainsi du recul par rapport à son propre écrit.
Diderot est à la recherche de la vérité. Il cherche à déconstruire le réel, et dés lors, qu'il le nomme ou non, il ne peut éviter Dieu.
En lisant « Le Rêve de D'Alembert », on ne peut s'empêcher de penser que la société a bien changé. Et on doit aussi se demander ce à quoi Diderot se serait attaqué à notre époque ? Car si le système social, moral, économique était bien fondé sur la réalité acceptée de
Dieu, ce n'est plus le cas de nos jours en Occident. Dieu existe toujours dans beaucoup de têtes et d'imaginaires, mais clairement sa réalité n'est pas suffisante pour expliquer les valeurs morales qui régissent le monde et dont le décodage nous aide à en comprendre les manifestations. A notre époque, on pourrait presque être frappé par l'omniprésence de la morale disséminée par le monde des puissants, les actionnaires secrets, leurs PDG ou CEO médiatisés par les mêmes journalistes dont les salaires sont payés par des sociétés elles-mêmes actionnaires de ceux dont elles chantent les louanges sous couvert d'objectivité. D'ailleurs, quand on vit dans le monde de ces grandes entreprises, on ne peut être que frappé par leur puissance, surtout si on la compare à l'humilité, à la fragilité perçue de l'église de quartier où un simple prêtre donne son sermon le dimanche.
Diderot aurait bien vu ça. La morale originelle du christianisme, telle qu'elle n'existait déjà plus à son époque, c'est une morale d'opprimés, la morale de ceux qui se cachent dans les catacombes pour échapper aux soldats de Néron, une morale tout bonnement humaine, dont on retrouve les mêmes bases dans toutes les religions du monde. En revanche, la morale que l'effet combiné des employeurs, des politiques, des médias et de nos amis, familles ou conjoints (qui en colportent eux aussi les bribes) nous impose, c'est la morale qui amène au déclin et à la tyrannie.
Diderot aurait été profondément choqué (et avec lui tous ses amis des Lumières) par une société qui trouve la logique suivante acceptable : les profits énormes des grandes entreprises en période de croissance économique doivent à tout prix être réinvestis pour que le système tourne, du coup, avec la complicité des politiques qui se taisent, et de médias qui jouent de la lyre une couronne d'olivier sur la tête, quelques individus, sanctionnés par les puissants, se lancent dans des jeux d'apprenti sorcier, et manquent foutre en l'air le système qui les a créés. Dés lors, pour sauver le monde, les dits politiciens aidés par leurs muses médiatiques endettent les sociétés civiles jusqu'à plus soif, créant une situation insupportable où ce sont les petits, sans un sou, sans perspectives si ce n'est que de se taire et de supplier pour que l'on ne leur enlève pas le peu qu'ils ont, qui vont financer les nouveaux excès de ceux qui vont de nouveau s'en mettre plein les poches. Paroxysme de la Dictature consentie, une analogie visuelle serait celle du condamné qui aide le bourreau à aiguiser sa guillotine, ou encore la famille du condamné à mort en Chine moderne à qui l'Etat fait payer la balle qui a assassiné le leur.
Oui, Diderot aurait eu un certain nombre de choses à dire sur ce sujet...
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