par Albert Londres
Prix : 0,99 €
ISBN : 978-1-909782-24-2
Nombre de pages : 53 pages
Langue du livre : français
Thème : Idées
« Les forçats de la route » est un reportage d'Albert Londres paru sous la forme d'articles du Petit Parisien entre le 22 Juin 1924 et le 20 Juillet 1924. Le journaliste y couvre le tour de France de l'été 1924. « Les forçats de la route » est aussi connu sous le titre « Tour de France, tour de souffrance ».
C'est le premier tour de France remporté par un Italien, Ottavio Bottechia. C'est aussi la première fois qu'un vainqueur du tour garde le maillot jaune de la première à la dernière étape. C'est à la suite de plaintes émises par les frères Pélissier contre le règlement jugé trop sévère qu'Albert Londres décide de suivre le tour de France. Henri et Francis Pélissier abandonnent d'ailleurs dès la troisième étape en protestation. Le tour suit le sens inverse des aiguilles d'une montre, inclut cent soixante sept participants dont quarante trois en première catégorie. Et déjà ce sont les épreuves de montagne ainsi que l'arrivée à Paris qui en constituent les moments forts.
Au départ du tour de France, comme beaucoup de choses en France, il y a l'affaire Dreyfus ! En effet, fin du Dix-Neuvième siècle, le premier quotidien sportif, « Le vélo » a pour rédacteur en chef un dreyfusard, Pierre Giffard, qui soutient ouvertement Dreyfus. Ceci déplait aux industriels du cyclisme et de l'automobile, pour la plupart antidreyfusards, qui demandent à Henri Desgrange de lancer une alternative au « Vélo ». Ce sera « L'auto-vélo ». Pour la petite histoire, « L'auto-vélo » sera publié sur papier jaune pour se distinguer du « Vélo » publié sur papier vert (c'est de là que vient le maillot jaune). Le « Vélo » lui fait alors un procès. Desgrange perd. Maintenant en grosse difficulté financière, Desgrange s'associe avec Géo Lefèvre pour promouvoir la plus grande course cycliste du monde, le tour de France. Le journal rebaptisé « L'auto » lance le tour de France en 1903. Le « Vélo » voit ses ventes diminuer et cesse de paraître l'année suivante. Si les antidreyfusards ont perdu la bataille par les journaux, ils prennent une petite revanche grâce à la promotion de la pédale et du guidon. Tout de suite, le tour de France suscite un grand engouement populaire. Le tour va plus tard se mêler de politique. Dès 1905, il s'attaque au ballon d'Alsace, puis en 1907 il passe par Metz, pourtant annexé par l'Allemagne (Alsace-Lorraine). C'est l'occasion de réjouissances pour la population locale et l'opportunité d'affirmer leur sentiment national. Ce qui ne plaît pas trop à Guillaume II qui interdit le passage du tour en Alsace-Lorraine à partir de 1911. Ainsi, très tôt, le tour de France en vient à représenter le territoire national. C'est la manifestation de la France profonde, la célébration du territoire national par les provinces d'une France unie et qui accepte la domination de l'élite parisienne, symbolisée par l'arrivée sur les Champs. Symbole de ringardise pour les Parisiens, c'est la vraie expression sportive de l'identité française pour les provinciaux. La presse va en faire des héros, des personnages au courage physique inégalé.
Si Londres n'est pas dupe et évoque discrètement les substances que les coureurs ingurgitent pour lutter contre la souffrance, on est loin de la problématique du dopage qui revient régulièrement depuis vingt ans et dont la conclusion (?) dramatique est la désattribution des sept victoires consécutives de Lance Armstrong. Comme la société en elle-même, le tour, symbole du territoire français, pas gagné par un Français depuis 1985, dominé par les Américains depuis vingt ans (et les Espagnols) et plus récemment gagné par un, pardon, deux Anglais, l'histoire du tour de France, qui fait des coureurs des héros, puis des forçats puis des dopés, reflète bien le pessimisme hystérique qui gagne la société française, puisque tous ses problèmes restent de nature psychotique, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas la manifestation d'une réalité mais bien plutôt la manifestation d'une perception hallucinatoire de cette même réalité. D'ailleurs, l'idée de faire trois mille kilomètres en vélo plutôt que de prendre la voiture ou l'avion pour aller d'un point à un autre, et pire encore, chercher la douleur en tournant en rond, est-ce que ça ne résumerait pas assez bien le mal Français (en tous cas mieux que les rapports de la Cour des Comptes)?! En cela, le tour est toujours fidèle à ses origines, c'est-à-dire la représentation d'un territoire national sublimée en l'expression d'un ressenti national. D'ailleurs, pour résoudre les problèmes Corses, on y envoie enfin le tour en 2013. C'est peut être la solution. Donc, à quand le Tour à Fessenheim, dans les quartiers Nord de Marseille, devant les bureaux du FMI ou de LVMH, le siège de Télérama ou encore sur le gazon de l'Elysée ?
© 2013- Les Editions de Londres