Le « Quart livre des histoires de Pantagruel », paru en 1552 est la continuation du Tiers livre, il raconte le voyage que Pantagruel avait préparé dans le Tiers livre à la recherche de l'oracle de la dive bouteille pour savoir si Panurge doit se marier. Le voyage se terminera dans le cinquième livre. C'est le récit d'une succession d'escales dans des îles avec une population bizarre. C'est aussi à chaque fois l'occasion de critiquer les mœurs de l'époque, en particulier les moines comme dans les autres livres et plus particulièrement le pape dans celui-ci.
Comme tous les livres de Rabelais, il sera censuré par la Sorbonne, à la suite de quoi Rabelais disparaît, peut-être en prison.
La version que nous proposons est conforme à l'édition de de1552 publiée par l'imprimerie Michel Fezandat à Paris.
Notre adaptation en français moderne des œuvres de François Rabelais est originale. Comme avec les Essais de Montaigne, il nous a semblé que le moment était venu d'offrir au lecteur moderne une version plus lisible que le français du Seizième siècle, en cherchant à ce que la version moderne n'éloigne pas le lecteur de l'action et des personnages de l'époque, et qu'elle restitue fidèlement l'incroyable inventivité du langage et des situations rabelaisiennes. Nous avons donc modernisé l'orthographe, traduit les mots incompréhensibles, conservé les néologismes, utilisé des annotations quand c'était nécessaire, respecté le rythme de la phrase du Seizième siècle. Pour nous aider dans cette traduction, nous avons utilisé les notes figurant dans l'édition du Quart Livre de Le Duchat et Le Motteux (1711), dans celle de Burgaud des Marets et Rathery (1873) et dans celle d'Esmangart et Johanneau de 1823. Nous avons également tenu compte des notes attribuées à Rabelais se trouvant dans la « brève déclaration » qui figurait dans l'édition de Lyon de 1552. Notre traduction en français moderne a cherché à fournir un texte agréable à lire en évitant l'effort continuel de déchiffrage du vieux français. On peut ainsi retrouver le plaisir de la lecture que devaient ressentir les contemporains de Rabelais.
Enfin, pour plus de confort de lecture, et parce qu'il s'agit d'une des avancées permises par le livre numérique, notre navigation « paragraphe par paragraphe » permet de passer aisément et de façon fluide d'un paragraphe en français du Seizième siècle à notre version moderne, ou l'inverse.
Au moment où Rabelais écrit le Quart livre, François 1er est mort (1547) et Henri II qui l'a remplacé entre en 1551 dans un violent conflit avec le Saint-Siège, interdisant tout transfert de fonds et interdisant la participation des prélats français au concile de Trente. C'est sans doute pourquoi Rabelais se permet une telle critique du pape. Malheureusement, en 1552 quand paraît le Quart livre, les choses s'arrangent avec le pape et Rabelais sera poursuivi par la Sorbonne.
Jacques Cartier a découvert le Canada en 1534 et l'on parle beaucoup du passage vers l'Inde par la route du Nord que va suivre la flotte de Pantagruel.
La réforme protestante continue à se développer et certaines pratiques de l'Église catholique sont contestées par les catholiques eux-mêmes.
Le concile de Trente (1542-1563), auquel le Quart livre fait allusion plusieurs fois sous le nom de Concile de Chésil, est en cours. Il suscite beaucoup de questions chez les catholiques. On y discute du comportement des moines mendiants, des indulgences, de l'autorité du pape, du mariage des prêtres, de la nécessité du jeûne durant le carême.
Le Quart livre est la suite du Tiers livre et en est proche du point de vue du style, qui est assez différent de celui de Gargantua et de Pantagruel.
Le chapitre 1 explique comment se fera le voyage pour visiter l'oracle de la dive Bouteille qui se trouve en Chine du Nord. Il se fera par le Nord à proximité du pôle en évitant les glaces ce qui est beaucoup plus rapide qu'en passant par le cap Horn.
Les chapitres 2 à 4 décrivent la première escale dans l'île de Medamothi, c'est-à-dire : nulle part. C'est l'époque de la grande foire et Pantagruel et ses compagnons font leurs achats comme le feraient des touristes. Pantagruel reçoit une lettre de son père et lui répond en lui envoyant ses achats faits sur l'île.
Les chapitres 5 à 8 décrivent la rencontre avec un navire de marchands qui revient du pays lanternier, allusion au concile de Trente. C'est là que se situe l'épisode des moutons de Panurge. Panurge se fâche avec le marchand de moutons Dindenault qui l'a traité de face de cocu. Pour se venger, il demande au marchand de lui vendre son plus beau mouton. C'est l'occasion d'un dialogue savoureux. Quand il a obtenu le mouton, il le jette à la mer et tous les moutons suivent ainsi que le marchand qui tombe à l'eau en essayant de retenir un mouton.
Le chapitre 9 décrit l'escale dans l'île des alliances, appelée Ennasin parce que tous les habitants ont le nez en forme d'as de trèfle. Ils sont aussi tous parents et s'appellent de noms étranges. C'est l'occasion d'une série de calembours au sujet des noms des hommes et des femmes qui sont ensemble.
Les chapitres 10 et 11 décrivent l'escale à l'île de Cheli où le roi Panigon les reçoit très courtoisement. C'est l'occasion pour frère Jean de critiquer les cérémonies et les embrassades de la cour. Lui préfère s'isoler dans la cuisine. C'est une critique des moines pour leur habitude de se trouver toujours en cuisine. Le moine d'Amiens qui visite Florence préfère Amiens, car on y trouve plus de rôtisseries qu'à Florence.
Les chapitres 12 à 16 décrivent les Chicanous qui sont dans l'île de procuration. C'est l'occasion d'une critique des procédures de la justice. Les Chicanous sont les huissiers envoyés pour porter des citations chez les gentilshommes qui, se mettant en colère, les battent. Le Chicanous est alors payé pour son action par le plaignant et indemnisé par le gentilhomme pour avoir été battu. Panurge raconte alors la farce qu'organisa le seigneur de Basché pour se débarrasser des Chicanous qui venaient sans cesse chez lui à la demande du gras prieur de saint Louant.
Le chapitre 17 raconte l'étrange mort dans l'île de Tohu et Bohu de Bringuenarilles, mangeur de moulins à vent, qui tomba malade pour avoir mangé des ustensiles de cuisine et meurt d'avoir avalé une noix de beurre devant un four chaud. C'est l'occasion de citer une liste d'hommes de l'antiquité morts pour une raison futile.
Les chapitres 18 à 24 décrivent la tempête que subit la flotte. Panurge exprime sa terreur assis sur le tillac pendant que tous les autres s'occupent des manœuvres. À la fin de la tempête, quand la flotte s'approche d'une île, Panurge reprend courage et affirme son courage en donnant des ordres et proposant alors d'aider à la manœuvre.
Les chapitres 25 à 28 décrivent l'escale dans l'île des Macraeons où les équipages reprennent des forces et où les navires sont réparés. Pantagruel et ses compagnons visitent la forêt où l'on trouve un grand nombre de temples ruinés, signes de la richesse passée de l'île. On apprend que la tempête est sans doute due à la mort d'un des Héros qui vivent dans la forêt. Épistémon fait alors le lien avec le déclin de la France qui aurait suivi la mort de Guillaume du Bellay, protecteur de Rabelais. Pantagruel en profite pour raconter comment des phénomènes surprenants précédèrent la mort de Guillaume du Bellay. Pantagruel raconte également l'histoire de la mort du dieu Pan qu'il assimile à la mort du Christ.
Les chapitres 29 à 32 décrivent Quaresmeprenant (ou Carême prenant) le seigneur de l'île de Tapinois. C'est l'occasion de faire la critique du carême obligatoire qui était contesté à l'époque de Rabelais, même par les catholiques. C'est l'occasion aussi pour Rabelais de faire de longues listes descriptives qui le régalaient sûrement, mais qui sont un peu fastidieuses. La description se termine par l'apologue de Physis et Antiphysie évoquant que le carême est contre nature et pour cela, attire les fous et les insensés en donnant une liste de confréries et de sectes.
Les chapitres 33 et 34 racontent la rencontre avec le physéter, qui est un grand cachalot. C'est l'occasion, comme lors de la tempête, d'une belle terreur de Panurge. Pantagruel se charge d'abattre le physéter en lui plantant des épieux dans tout le corps.
Les chapitres 35 à 42 présentent l'escale dans l'île Farouche où vivent les Andouilles, ennemies de Quaresmeprenant. Xénomane les connaît, il a, par le passé, tenté de les réconcilier, mais les conclusions du concile de Chésil ont relancé leur hostilité. Les Andouilles, pensant qu'il s'agit d'une incursion de Quaresmeprenant entre en lutte contre Pantagruel. Pantagruel se demande si c'est pour le recevoir qu'une telle troupe approche ou pour le combattre et il explique que dans l'expectative, il faut adopter une position prudente. Il raconte plusieurs occasions ou dans l'antiquité, sous prétexte d'une rencontre aimable, des peuples ont été anéantis.
Pantagruel demande à ses colonels Riflandouille et Tailleboudin de les défendre. Épistémon fait remarquer qu'avec de tels noms, ils sont sûrs de la victoire contre les andouilles et les boudins. C'est l'occasion pour Rabelais de se moquer des pronostics basés sur les noms.
Le chapitre 38 est un intermède ou Rabelais s'adresse au lecteur pour le persuader que des humains peuvent avoir un corps d'andouille.
Frère Jean propose de se charger de combattre les Andouilles avec ses hommes qui sont les cuisiniers, les plus appropriés pour combattre des Andouilles. Tous les cuisiniers dont les noms sont cités dans une longue liste entrent dans la truie, machine de guerre que l'on pousse vers l'ennemi.
Enfin, la bataille commence et les Andouilles sont mises à mal par les cuisiniers conduits par frère Jean. Mais un cochon volant miraculeux vient au-dessus de la bataille et les Andouilles se prosternent à terre en reconnaissant leur dieu Mardigras. Pantagruel fait arrêter le combat à ses hommes puis négocie la paix avec la reine des Andouilles.
Les chapitres 43 et 44 décrivent l'escale à l'île de Ruach où les habitants ne se nourrissent que de vent. Tout irait bien dans l'île si le géant Bringuenarilles ne venait pas chaque année se nourrir de moulins à vent et de soufflets. Mais cela n'arrivera plus puisqu'on a appris sa mort au chapitre XVII.
Les chapitres 45 à 47 décrivent l'escale à l'île des Papefigues (ceux qui se moquent du pape), malheureux sujets des Papimanes (ceux qui adorent le pape). On y apprend l'histoire du laboureur qui trompa un petit diable en lui donnant chaque fois la mauvaise part de ses récoltes. Le diable veut se venger et décide un combat où chacun se grattera. Le laboureur a peur, mais sa femme le tire d'affaire.
Les chapitres 48 à 54 racontent l'escale dans l'île des Papimanes, adorateur du pape. Pantagruel et ses compagnons sont accueillis par les Papimanes anxieux de savoir s'ils ont vu le pape et puisqu'ils l'ont vu, ils sont adorés. L'évêque Homenaz leur fait admirer les Décrétales qu'ils ont reçues du ciel et leur propose de pouvoir les compulser à condition de jeûner trois jours. Puis, il leur découvre avec beaucoup de cérémonies l'icône du pape. Homenaz les invite ensuite à un banquet où sont vantées les Décrétales. On en apprend les pouvoirs occultes, chacun racontant une anecdote où la mauvaise utilisation des Décrétales fut punie. La critique des Décrétales et du pape se poursuit. Les Décrétales sont un moyen de faire rentrer de l'argent à Rome. À la fin du repas, Homenaz offre des poires du pays que Pantagruel baptise : poires de bon chrétien.
Les chapitres 55 et 56 racontent la rencontre des paroles gelées. Des sons se font entendre autour du navire alors que l'on ne voit personne. C'est à nouveau l'occasion d'une belle peur pour Panurge. Le pilote explique que ce sont les cris proférés lors d'une grande bataille qui eut lieu l'hiver précédent et où tous les sons gelaient par les rigueurs de l'hiver. Avec le retour du temps tempéré, les cris dégèlent et se font entendre.
Les chapitres 57 à 62 racontent l'escale dans l'île de Messire Gaster. L'île est difficile d'accès, mais merveilleuse sur le dessus du mont. Gaster est un souverain autoritaire, maître de tous les arts. Il n'a pas d'oreilles, mais un gros ventre. À la cour du roi, il y a deux sectes : les engastrimythes qui parlent avec le ventre et les gastrolatres qui adorent le ventre. Pantagruel et ses compagnons assistent à la procession de Manduce et à la grande offrande d'une multitude de mets que les gastrolatres apportent à Gaster qu'ils adorent comme un dieu. Rabelais donne la liste des mets apportés puis le pilote explique ce qui est apporté les jours maigres, la liste est aussi longue, mais à base de poissons et de légumes. Ensuite, on découvre toutes les inventions faites par Gaster, la forge, l'art militaire, la médecine, les moulins, le feu, etc., et l'on apprend que toutes les inventions des hommes ont eu pour but de fabriquer et de protéger le pain.
Les chapitres 63 à 65 racontent le calme plat près de l'île de Chaneph, île des hypocrites, et les questions bizarres que les compagnons affamés de Pantagruel lui posent. La réponse de Pantagruel est de faire servir un bon repas, ce qui répond à toutes les questions.
Les chapitres 66 et 67 décrivent le passage près de l'île de Ganabin qui est un repaire de brigands. Panurge est terrorisé et se cache dans la soute. Alors, pour se moquer de lui, Pantagruel fait tirer le canon. Panurge croit que tous les diables se sont réunis et sort de la cale un chat à la main, le prenant pour un diablotin.
On retrouve dans le Quart livre, une même analyse critique de la société de l'époque, avec des piques particulières contre le pape.
Frère Jean préfère aller à la cuisine que subir les cérémonies obligatoires à la cour du roi Panigon : « j'en pratique mieux l'usage et les cérémonies, que de faire le joli cœur avec ces femmes, magni, magna, grimace, révérence, double révérence, et reprise encore, l'accolade, l'embrassade, baiser la main de votre grâce, de votre majesté, soyez le bienvenu. Tarabin, tarabas. Bren, c'est merde à Rouen. »
Rabelais, dans les chapitres sur les chicanous de Procuration fait la critique de la manie des procès intentés en grand nombre contre les gentilshommes et de la façon de gagner de l'argent des huissiers en se laissant battre : « Cela fait, voilà le Chicanous riche pour quatre mois. Comme si les coups de bâton étaient ses premières moissons. Car il aura du moine, de l'usurier, ou de l'avocat un très bon salaire, et une réparation du gentilhomme certaines fois si grande et excessive que le gentilhomme y perdra tout son avoir. »
Lors du passage dans l'île de Tapinois, Rabelais présente les abus du carême à travers le personnage de Quaresmeprenant. Il le décrit ainsi : « Un grand avaleur de pois secs, un grand caquerotier, un grand preneur de taupes, un grand botteleur de foin, un demi-géant à poil follet et double tonsure, sorti du Lanternais et bien grand Lanternier, gonfalonier des Ichtyophages, dictateur de Moutardais, fouetteur de petits enfants, brûleur de cendres, père et nourrisson des médecins, foisonnant en pardons, indulgences, et stations, homme de bien, bon catholique, et de grande dévotion. Il pleure les trois parties du jour. Jamais, il ne se trouve aux noces. »
Le concile de Chésil a envenimé les rapports entre Quaresmeprenant et les Andouilles comme le concile de Trente a envenimé les rapports entre les catholiques et les protestants : « Depuis la conclusion du concile national de Chésil, par laquelle les Andouilles furent farfouillées, abusées, et citées en justice : par laquelle aussi fut Quaresmeprenant déclaré puant, déficient et sans tête au cas où avec elles il ferait une alliance ou un accord, ils se sont horriblement aigris, envenimés, indignés, et obstinés dans leurs courages, et il n'est plus possible d'y remédier. Vous auriez plutôt réconcilié ensemble les chats et les rats ou les chiens et les lièvres. »
Rabelais dès le prologue, critique la vente des indulgences par le pape : « c'étaient des petits pèlerins de Rome vendant leur bien, empruntant à autrui pour acheter des tas d'indulgence à un pape nouvellement nommé. »
Quand Pantagruel et ses compagnons arrivent dans l'île des Papimanes, ils sont bien accueillis parce qu'ils ont vu le pape, alors Panurge dit : « De la vue du pape, jamais nous n'avions profité ; maintenant, par tous les diables, elle nous profitera comme je le vois. »
Panurge voyant le portrait du pape chez les Papimanes trouve qu'il n'est pas ressemblant, car les papes sont alors des guerriers : « Il me semble, dit Panurge, que ce portrait ne correspond pas à nos derniers papes. Car je les ai vus sans aumusse, mais portant un casque sur la tête, surmonté d'une tiare persique, et tout l'empire chrétien étant en paix et calme, eux seuls faisaient une guerre déloyale et très cruelle. »
Épistémon accuse les décrétales d'être faites pour attirer quatre cent mille ducats de France à Rome. L'évêque Homenaz lui répond : « Il me semble toutefois que c'est peu, vu que la France très chrétienne est l'unique nourrice de la cour de Rome. Mais trouvez-moi des livres au monde, que ce soit de philosophie, de médecine, de législation, de mathématique, de lettres humaines, et même (par mon Dieu) de la sainte Écriture, qui en puissent autant attirer ? »
On retrouve dans plusieurs passages l'idée que les moines ne pensent qu'à manger et à boire.
Épistémon raconte que, parlant de Florence, Bernard Lardon, moine d'Amiens dit : « Et alors ? Qu'est-ce ? Ce sont de belles maisons. C'est tout. Mais que Dieu, et monsieur saint Bernard notre bon patron, soient avec nous, dans toute cette ville je n'ai pas encore vu une seule rôtisserie. »
En parlant d'Antiphysie, contre la nature, qui engendra des monstres, Rabelais dit que : « Depuis elle engendra les Matagots, Cagots et les Papelards, les Maniaques de Pistoia : les Démoniaques calvinistes imposteurs de Genève : les enragés de Puy-Herbeaut, Briffaux, Cafards, Chattemites, Cannibales et autres monstres difformes et contrefaits en dépit de la Nature. »
Homenaz explique à quoi sert la quête : « C'est pour faire bonne chère, de cette contribution et redevance, une partie serait employée à bien boire, l'autre à bien manger, suivant une merveilleuse glose cachée dans un petit coin de leurs saintes Décrétales. »
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