« La Chartreuse de Parme » est un roman de Stendhal publié en deux volumes en Mars 1839, puis remanié et republié en 1841. C'est un roman tardif, écrit quelques années avant la mort de Stendhal.
« La Chartreuse de Parme » est souvent considérée comme son œuvre maitresse et son chef d'œuvre.
L'article de Balzac sur « La Chartreuse de Parme » parait en Septembre 1840 dans la « Revue parisienne » et parvient à Stendhal le 14 Octobre. Balzac le complimente sur la « Chartreuse », qu'il qualifie de « sublime » (cela plut surement à Stendhal, grand admirateur de Shakespeare ; voir Racine et Shakespeare), mais il lui fait de nombreux commentaires sur son style et la tenue de l'histoire.
Stendhal est probablement perplexe : il est ravi que Balzac, le plus célèbre écrivain français à l'époque, ait tant aimé son œuvre qu'il l'ait lu trois fois, mais il peine à retravailler, se conformer à des règles narratives ou stylistiques auxquelles il ne souscrit pas. En naitra une œuvre refondée un an plus tard, dont on ne sait si elle plut vraiment à Stendhal.
Dans sa réponse à Balzac, Stendhal nous offre d'ailleurs un document passionnant sur sa conception de l'écriture : « Je vois l'histoire future des lettres françaises dans l'histoire de la peinture » ; « Je le répète, la part de la forme devient plus mince chaque jour » ; « Je n'admire pas le style à la mode, il m'impatiente...On me dit depuis un an qu'il faut quelquefois délasser le lecteur en décrivant le paysage, les habits...Ces choses m'ont tant ennuyé chez les autres ! »
Il est hors de question de résumer dans le détail une telle œuvre, à l'histoire finalement assez simple : Fabrice del Dongo est amoureux des femmes, notamment de sa tante et de la fille de son geôlier. Il veut une vie d'aventures, il se dirige seul et contre l'avis de sa famille vers Waterloo, arrive après la bataille, revient en Italie dans la clandestinité afin de ne pas se faire arrêter, tue un provocateur, le comédien Giletti, et est condamné à l'emprisonnement dans la tour de Parme. Il s'évade, se livre ensuite, est emprisonné de nouveau, cette fois-ci dans la tour Farnese, est de nouveau menacé d'empoisonnement, mais finit par être libéré, il retrouve Clélia, la fille de son geôlier, en secret, ils ont un enfant, Fabrice se retire à la Chartreuse de Parme, il y meurt. Clélia meurt aussi.
Cette histoire, au fil assez simple, a tant de personnages, de retournements, de péripéties que Stendhal aurait pu y consacrer dix volumes.
Avec « la Chartreuse de Parme », Stendhal invente un nouveau genre : le roman d'aventures romanesques, pénétré d'analyse psychologique si subtile que chaque personnage devient un peu une projection du moi de l'auteur. Cette aventure littéraire unique fait de « la Chartreuse de Parme » à la fois un roman du romanesque et de l'intime. Il sait que son public de l'époque est limité. C'est ainsi qu'il le dédit : « To the happy few ». Le roman sera presque inconnu jusqu'au vingtième siècle, à l'exception de rares intellectuels tels que Nietzsche qui en parle avec admiration, notamment dans sa correspondance.
Pour « La Chartreuse de Parme », Stendhal s'est inspiré de nombre romans carcéraux, afin de reproduire cette expérience qui est au centre du roman, et qui offre le cadre au renversement « heureux » de l'existence de Fabrice. Si la prison est le lieu même de l'arbitraire où la société bourgeoise et sans idéaux autres que l'argent, envoie ceux qui ne lui ressemblent pas (idéal romantique), c'est aussi pour Fabrice le lieu de la découverte de la liberté. C'est en effet dans la prison que la vie commence à avoir un prix, et qu'il trouve un sens. Car, pour [Stendhal- >aut190], la vie n'a de sens que dans l'amour : « vivre sans vous voir tous les jours serait pour moi un bien autre supplice que cette prison ! de la vie je ne fus aussi heureux !...N'est-il pas plaisant de voir que le bonheur m'attendait en prison ? »
Toute sa vie, Stendhal écrit sur lui. Sa littérature est l'histoire d'une vie rêvée à une époque qui n'est pas la sienne. Dans « La Chartreuse de Parme », il met en scène ses amours de toujours : l'Italie, son caractère, ses valeurs, légères, libertines, libres, violentes mais toujours dignes d'esthètes, même dans la mort ; les femmes ; l'aventure et les valeurs chevaleresques. « La Chartreuse de Parme » est une reconstruction tragique et rocambolesque de ce qu'aurait pu être sa vie. Grâce à la littérature, Stendhal s'arrache au fil monotone de l'existence en en variant les possibles, les retournements, les accents tragiques. C'est la vie, vécue et revécue sur une infinité de variations et de partitions, c'est la recherche du bonheur par la projection dans un ailleurs qui a le pouvoir de s'arracher à un temps monodimensionnel.
Stendhal n'aime pas son époque. Dans l'histoire, il y a les génies qui suivent l'air du temps, et ceux qui inventent une voie originale.
Stendhal est l'un de ceux-là. Il n'aime pas son époque. Il craint cette union de la bourgeoisie et de la politique, il craint l'avènement du monde dans lequel nous vivons maintenant. Il cherche l'idéal, l'ère héroïque, le chevaleresque, le sublime, les valeurs humanistes et antiques, le courage avant la cour, les exploits insensés et désintéressés et pas la fascination matérialiste de la société qu'il voit changer autour de lui. Son hédonisme est esthétique, son héroïsme rêve.
Il se méfie déjà des Etats-Unis que Chateaubriand admire : « Elle lui expliqua le culte du dieu dollar, et ce respect qu'il faut avoir pour les artisans de la rue, qui par leurs votes décident de tout. ».
Il entrevoit déjà l'évolution du dix-neuvième siècle vers le règne du politique financé par l'argent envahissant la vie des gens.
Stendhal est un romantique, c'est un nostalgique lucide et intelligent qui a trop souffert qu'on le repousse. Il aurait voulu vivre dans un monde d'aventures, un monde qui aujourd'hui et déjà à son époque n'existe plus. On pourrait le voir en Don Quichotte de la littérature, qui ne dut sa notoriété tardive qu'au hasard (et a son talent) ; c'est un moderne lucide, comme tous ceux qui savent que le monde qu'ils traversent n'est que provisoire.
©Les Editions de Londres